Reconstruction de la « forêt » de Notre-Dame de Paris Quels défis techniques ?

Le groupement composé des Ateliers Perrault et des Ateliers Desmonts a été chargé de la restitution à l’identique des charpentes médiévales de la nef et du chœur de la cathédrale, détruites par l’incendie du 15 avril 2019. Un chantier particulièrement complexe qui a fait appel à des techniques et savoir-faire ancestraux.
10:1712/03/2024
Rédigé par
revue
Retrouvez ce dossier dans notre revue Bâtimétiers
Bâtimétiers Numéro 74 | Mars 2024

Avec une longueur de 32 m, une largeur de près de 14 m et une hauteur de 10 m, la charpente du chœur est un ouvrage en chêne massif d’une taille exceptionnelle. Réalisée au début du xiiie siècle, elle est composée de 35 fermes et 22 demi-fermes, formant six travées et une abside de forme semi-circulaire.

 

La totalité de la charpente médiévale, qui comprend la nef et le chœur, mesure, quant à elle, 75 m de long. Cette charpente entièrement détruite par l’incendie du 15 avril 2019 a été reconstruite à l’identique en bois de chêne massif, conformément à l’avis de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA).

 

L’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, maître d’ouvrage du chantier, a confié après appel d’offres ces travaux au groupement formé par les Ateliers Perrault (Maine-et-Loire), mandataires, experts des chantiers complexes de monuments historiques, et les Ateliers Desmonts (Eure), reconnus pour leur savoir-faire en taille manuelle.

Un travail d’enquête

 

Avant de se lancer dans la construction, les charpentiers ont dû longuement réfléchir à la meilleure façon de reconstituer la structure à l’identique, avec ses nuances et ses singularités. Ils ont pu s’appuyer sur le travail de l’architecte en chef des monuments historiques Rémi Fromont qui, par un hasard miraculeux, en 2014, alors en fin de cursus d’architecte du patrimoine à l’École de Chaillot, avait effectué un relevé très complet du grand comble de la cathédrale, en collaboration avec son confrère Cédric Trentesaux.

 

Cette étude détaillée a été déterminante pour leur permettre de produire 1 300 plans et 500 épures en un temps record. « Nous avons été très fidèles à ces relevés : plusieurs milliers d’assemblages ont été scrutés sur les photos prises avant l’incendie. C’était un travail de fourmi pour comprendre ce qui avait été réalisé il y a huit cents ans », souligne Benoît de Belleroche, directeur du projet au sein des Ateliers Perrault. Autre grand challenge technique : sélectionner un par un des chênes élancés en fonction de la poutre à laquelle chacun allait être destiné.

 

« Nous avons parcouru 600 hectares de forêt à pied pour choisir, en collaboration avec l’Office national des forêts (ONF) et les propriétaires privés, 1 200 arbres en quatre mois. Chaque arbre était sélectionné en fonction de son diamètre, de sa rectitude et de sa longueur pour correspondre à une pièce précise de la charpente.

 

C’était un réel défi, parce qu’aujourd’hui les charpentiers ne vont plus en forêt », précise Loïc Desmonts, gérant des Ateliers Desmonts.

Rémi Fromont, architecte en chef des monuments historiques. © DR

Le rôle majeur des architectes

 

La reconstruction de la charpente de Notre-Dame est le fruit d’un travail collectif où les architectes ont joué un rôle central. En avril 2019, juste après l’incendie, ce sont eux qui ont élaboré en un temps record des dossiers de Consultation des Entreprises (DCE) complets, ce qui a permis de valider la faisabilité technique, économique, calendaire et patrimoniale du projet au plus haut niveau de l’État. « Dans les DCE, nous avons prescrit de manière très précise les méthodes de conception d’exécution et de taille des charpentes.

 

Nous avons décrit et imposé dans les pièces marché la méthode ancestrale de l’épure et du piquage par exemple, afin de garantir que les charpentiers puissent déployer et transmettre leur savoir-faire (art du trait). De même, nous avons précisément décrit les outils à utiliser, par exemple les caractéristiques des doloires pour l’équarrissage manuel.

 

Nous nous sommes pour cela appuyés sur l’expérience de Charpentiers sans frontières. Nous avons aussi formellement interdit la taille numérique et le recours aux outils 3D pour la réalisation des épures », souligne Rémi Fromont, architecte en chef des monuments historiques.

 

Cet immense travail de préparation et d’anticipation, qui a été suivi par un travail de direction d’exécution des travaux, a été fondamental dans la réussite du projet de reconstruction.

Loïc Desmonts, gérant des AteliersDesmonts, à Nassandres sur Risle (Eure).© DR
©DRJean-Louis Bidet, directeurcommercial charpente aux Ateliers Perrault et référent technique du projetNotre-Dame.
Benoît de Belleroche, directeur deprojet au sein des Ateliers Perrault, à Saint-Laurent-de-la-Plaine (Maine-et-Loire).© DR

L’opération délicate du levage

 

Après l’équarrissage manuel de tous les bois de la charpente (voir encadré), vient le défi de l’assemblage. Le montage à blanc effectué en atelier, véritable répétition générale, était une étape indispensable afin de vérifier la perfection des assemblages, conformément à l’art multiséculaire des charpentiers.

 

Il était également rendu nécessaire par la nature des bois. « Une fois les charpentes taillées en bois vert, nous les assemblons rapidement avec un chevillage provisoire afin d’assurer la bonne tenue des pièces de bois entre elles, permettant ainsi la poursuite du séchage en bonne situation. Nous avons assemblé l’ensemble du chœur grandeur nature dans notre atelier à Saint-Laurent-de-la-Plaine, en Anjou, et les Ateliers Desmonts ont fait de même en Normandie, pour la nef.

 

Les fermes ont été levées et mises debout en situation réelle. Nous avons attendu le dernier moment pour les coucher, les désassembler et les transporter pour les élever dans le ciel de Paris afin de prendre place définitivement au-dessus des voûtes de la cathédrale », explique Jean-Louis Bidet, directeur technique au sein des Ateliers Perrault. Pilotée par ces derniers, l’opération de levage de la charpente a représenté une autre difficulté technique majeure.

 

« Lever une charpente d’un tel volume et d’une telle densité est inédit dans le secteur des monuments historiques. Nous avons dû imaginer et fabriquer une grande passerelle métallique de 10 m de haut sur trois niveaux pour pouvoir monter la forêt de la nef et du chœur, tout en garantissant naturellement la sécurité de nos charpentiers », indique Benoît de Belleroche. Le montage de l’ensemble des charpentes de la nef et du chœur s’est achevé début 2024.

 

Un professionnalisme salué par Philippe Jost, président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, maître d’ouvrage du chantier de restauration : « La mobilisation et l’enthousiasme des dizaines d’experts forestiers de l’ONF, taillandiers et charpentiers venus de toute la France, voire pour certains de l’étranger, qui ont souhaité se réunir pour réaliser cette œuvre collective sont une nouvelle preuve de l’engagement de tous pour permettre la réouverture de la cathédrale au culte et à la visite, le 8 décembre 2024.

 

Qu’ils soient remerciés pour leur admirable engagement et l’exceptionnel travail qu’ils accomplissent. »

 

En savoir plus 

L’équarrissage manuel, un savoir-faire oublié pour exploiter le plus bel aspect du bois

 

Première étape de la reconstitution de la charpente après la sélection des bois, l’équarrissage consistait à transformer les 20 kilomètres de chênes nécessaires en poutres avec une sorte de hache utilisée au Moyen Âge, la « doloire ».

 

« C’était vraiment un besoin technique pour garantir la meilleure tenue possible de la charpente dans le temps. Les bois étaient très fins et très longs. Pour qu’ils ne se déforment pas, il fallait que la taille suive la forme de la pièce afin que le cœur du bois reste au centre. C’est très compliqué avec une taille mécanique, alors que c’est parfaitement naturel avec un équarrissage à la main. Ces outils anciens nous ont également permis de rester le plus proche possible de ce qui avait été fait au xiiie siècle », explique Rémi Fromont, architecte en chef des monuments historiques (ACMH) qui, aux côtés de Philippe Villeneuve, ACMH mandataire, a notamment la charge de concevoir et de diriger l’exécution des travaux de reconstruction des charpentes.

 

L’équarrissage manuel s’étant perdu au fil du temps, les doloires n’existaient plus que chez les brocanteurs. Un groupement de cinq taillandiers s’est donc formé en urgence pour forger des doloires conçues grâce à un dialogue nourri entre taillandiers et charpentiers.

 

« Nous avons observé la surface des poutres pour comprendre la forme des outils utilisés par les charpentiers de l’époque. Nous avons cherché à reproduire des doloires à la forme identique pour que la finition de la charpente corresponde exactement à celle du xiiie siècle », s’enthousiasme Loïc Desmonts.

 

« La plupart de nos charpentiers n’avaient jamais pratiqué ce savoir-faire ancestral particulièrement respectueux de l’arbre. Comme la doloire suit les fibres du bois, la poutre n’est jamais parfaitement géométrique comme lorsqu’elle passe sur un banc de scie. Le mot “forêt” qui désigne les charpentes médiévales prend alors tout son sens : les poutres vivent comme dans une forêt car rien n’est rectiligne. Chaque pièce est unique car elle porte la trace de la main de l’homme », conclut Benoît de Belleroche.

Contenu réservé aux adhérents FFB

  • Profitez aussi de conseils et de soutien

    Des services de qualité, de proximité, avec des experts du Bâtiment qui connaissent vos enjeux métier et vous accompagnent dans votre quotidien d'entrepreneur.

  • Intégrez un réseau de 50 000 entreprises

    La FFB est fière de représenter toutes les entreprises du bâtiment, les 2/3 de nos adhérent(e)s sont des entreprises artisanales.

  • Bénéficiez des dernières informations

    Recevez Bâtiment actualité 2 fois par mois pour anticiper et formez-vous aux évolutions des métiers ou de la législation.

Pour contacter facilement votre fédération et accéder aux prochaines réunions
Vous n'êtes pas adhérent et vous cherchez une information ?