Les acteurs du bâtiment doivent davantage travailler ensemble - Entretien avec Hervé de Maistre

Satisfaction du client final, maquette numérique, innovation, normalisation... Industriels et entreprises de travaux doivent relever ensemble des défis décisifs pour l'évolution de toute la filière.
11:0009/06/2016
Rédigé par FFB Nationale
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Bâtimétiers Numéro 43 | Juin 2016

Hervé de Maistre, directeur général de Placoplatre et du pôle produits pour la construction de Saint-Gobain pour la France et le Benelux, est président de l'Association française des industries de produits de construction, qui regroupe 7 000 entreprises de plus de 20 salariés, représentant 430 000 emplois et un chiffre d'affaires annuel de 45 milliards d'euros sur le marché français.

Quelle est votre vision de la relation entre les industriels du bâtiment, que vous représentez en France, et les entreprises de travaux ?

Les entreprises du BTP sont nos clientes, notre premier objectif est de les satisfaire. Mais nous avons surtout un point commun : nous servons ensemble le même client final. Or celui-ci devient un expert. Le particulier se renseigne sur internet ; son rôle dans la prescription des solutions, voire des matériaux, va croissant. Nous devons penser notre façon de travailler ensemble à l'aune de cette réalité, en écoutant le client, en comprenant ses besoins, et ce d'autant plus que dans le bâtiment, il faut le reconnaître, le niveau de satisfaction du client final par rapport à la prestation que nous lui rendons est moins élevé comparé à d'autres secteurs. Cela tient en particulier au hiatus entre la demande du client, qui a un projet global, et l'organisation de nos métiers. Nous devons aplanir une double complexité : verticale, avec le fonctionnement en silos de nos filières de produits et de corps de métiers ; et horizontale, en raison du nombre particulièrement élevé d'intervenants sur un même projet de bâtiment. Si nous voulons mieux répondre aux attentes du client final, nous devons davantage travailler ensemble. C'est d'abord cette conviction qui m'anime dans mon mandat de président de l'AIMCC. Je ne suis pas là pour défendre le pré carré de l'industrie, mais pour contribuer à ce que tous les acteurs de notre filière se parlent et avancent ensemble. J'ai été favorablement impressionné par le plan Bâtiment durable lancé dans la foulée du Grenelle de l'environnement, qui a mis tout le monde autour de la table. Nous devons faire de même pour tous les sujets qui seront décisifs pour notre avenir commun dans les années qui viennent.

Parmi ces sujets décisifs, il y a le BIM. Comment l'abordez-vous ?

L'AIMCC a été initiatrice en travaillant activement sur ce sujet depuis une dizaine d'années. Nous, industriels, avons un rôle majeur vis-à-vis de tous les acteurs de la filière : il est de faire en sorte que les données sur nos produits s'intègrent dans la maquette numérique et permettent l'évaluation de la performance du bâtiment. C'est un énorme travail, qui consiste à mettre les produits à des normes utiles et utilisables par tous les clients et à transformer les catalogues, avec les investissements que cela implique, en temps et en systèmes d'information. C'est surtout un enjeu fondamental pour toute la filière. Si nous réussissons ensemble, la maquette numérique sera l'outil collaboratif qui permettra de réduire les temps de conception et de réalisation, de faire travailler l'ensemble des intervenants de manière plus efficace et rapprochée, de progresser en qualité et en satisfaction du client final. On voit déjà, sur les quelques chantiers pilotes, les gains qu'on peut en attendre. Si vous numérisez l'ensemble du chantier à l'avance, vous pouvez planifier son déroulement. Les industriels, par exemple, au lieu de livrer un camion de dix palettes, pourront programmer les livraisons pour chaque pièce du bâtiment, au moment où les entreprises auront besoin des matériaux et sous la forme voulue - prédécoupée par exemple.

Ce qui revient à industrialiser le chantier ?

D'une certaine façon oui, mais ce n'est pas un gros mot ! Industrialiser, cela veut dire plus de méthode et d'organisation sur les chantiers, moins d'improvisation, la suppression de tâches et de délais inutiles. Mais tous ces efforts ne porteront leurs fruits que si la qualité de mise en  »uvre, au final, est excellente. Le savoir-faire de l'entreprise de travaux restera toujours essentiel, et la maquette numérique sera un moyen de promouvoir les meilleurs, ceux qui investissent dans la formation et dans la qualité. Nous aussi, industriels, nous pourrions nous inquiéter d'un risque de banalisation de nos produits. Je pense exactement le contraire : si le langage commun que nous allons bâtir autour de la maquette numérique remplit son office, chacun pourra comparer la performance des produits en la rapportant aux performances attendues de l'objet à construire. Il y aura toujours une différenciation par la qualité !
Pour autant, nous réussirons si nous développons un outil accessible à tous. Ma préoccupation, c'est l'artisan et l'entrepreneur. Si on ne conçoit pas une maquette numérique utilisable et utilisée par ceux qui font la réalité de notre filière, cela ne servira à rien. Ce qui tombe bien, c'est que l'artisan se déplace aujourd'hui sur ses chantiers avec une tablette, qui va devenir le média naturel pour collaborer à la maquette numérique. Je suis relativement optimiste aussi sur la façon dont les pouvoirs publics ont saisi l'enjeu et lancé un mouvement collectif avec le Plan transition numérique dans le bâtiment. L'état d'esprit est le bon, mais on ne va pas assez vite. C'est un mea culpa pour tout le monde, et notamment pour les industriels.

Quelles sont les tendances en matière d'innovation dans le secteur industriel ?

Je constate d'abord que pendant les années de crise que vient de traverser le secteur du bâtiment, les industriels ont maintenu et même augmenté leurs investissements dans l'innovation. Les Avis techniques, qui accompagnent la mise sur le marché de produits et systèmes innovants, n'ont jamais été aussi nombreux. Cet effort d'innovation est soutenu par la problématique de la transition énergétique, mais aussi par les besoins de confort du client final et par des évolutions sociologiques. Saint-Gobain vient d'inaugurer par exemple une maison témoin multi-confort (confort thermique, visuel, acoustique, sanitaire...), à énergie positive et totalement transformable pour que les habitants puissent y rester toute leur vie - ce qui est une réponse au vieillissement de la population.

Quels sont les principaux freins à l'innovation ?

Pour un industriel, ce n'est pas si compliqué que cela de concevoir des solutions performantes. Le plus difficile, compte tenu du grand nombre d'intervenants à convaincre, est de faire en sorte qu'elles s'imposent sur le marché, ce qui prend cinq ans en moyenne. Cela dit, je suis admiratif quand je vois l'appétence des artisans et des entreprises que je côtoie vis-à-vis des systèmes innovants que nous leur proposons. Quand ils sentent qu'une innovation est réellement utile et peut les aider à progresser eux-mêmes, ils prennent le temps nécessaire pour nous écouter et se l'approprier. Les pouvoirs publics ont aussi leur rôle dans la dynamique de l'innovation. Je pense avant tout à la rénovation. Malgré tout le travail de ces dernières années, notamment en matière d'incitations financières, nous manquons d'objectifs environnementaux clairs et ambitieux à long terme. Un propriétaire devrait savoir à quel niveau de performance il devra amener son logement d'ici 20 ans, et donc pouvoir programmer ses travaux en conséquence. Nous avons besoin également d'un socle commun à tous les acteurs de la filière pour comparer les solutions en termes d'analyse du cycle de vie complet des bâtiments. Certes, la maquette numérique nous y aidera, mais les pouvoirs publics ont là encore une responsabilité : plutôt que de pousser certains matériaux, ils devraient promouvoir les outils permettant aux concepteurs d'atteindre les objectifs de performance requis en choisissant les meilleures solutions en fonction de leurs projets.
Je voudrais souligner enfin un enjeu qui est commun à tous les acteurs de la filière : nous devons faire en sorte que le savoir-faire français soit davantage reconnu à l'international, ce qui implique d'être présents et actifs dans les processus de normalisation européens. Aucun de nous n'a envie de voir s'imposer en France une vision de la qualité et de la performance qui ne correspondrait pas à notre philosophie - je pense en particulier à l'approche plus marchande du monde anglo-saxon et à l'émergence de nouveaux intermédiaires commerciaux qui se rêveraient en « Google du bâtiment ». Là encore, nous serons plus forts en parlant d'une même voix !

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