La situation du bâtiment en ce début d’été est celle d’un temps suspendu. Après un arrêt quasi-complet sur la deuxième moitié de mars et sur le mois d’avril, puis une progressive reprise de l’activité, presque tous les chantiers tournent aujourd’hui. Toutefois, ce n’est pas toujours à plein régime, loin de là, puisque 17 % se trouvent encore en activité réduite et 5 % toujours à l’arrêt. Même en supposant un retour à la normale ou presque après les vacances d’été, la cicatrice restera profonde puisque nos prévisions révisées pour 2020 tablent sur une chute d’activité bâtiment de 18 % hors effet prix et la perte d’environ 120 000 emplois. Le décrochage pourrait atteindre jusqu’à 200 000 postes en 2021 si rien n’est fait.
De plus, la question des surcoûts sanitaires sur chantier, très largement supportés par les entreprises de bâtiment, perdure. D’après la très récente enquête des Cellules économiques régionales de la construction, 85 % des entreprises les estiment inférieurs à 10 %. Or, la rentabilité moyenne des entreprises du secteur s’établissait à environ 2,5 % avant la crise. Ce qui signifie, en clair, que nombre d’entreprises perdent de l’argent en travaillant ! Là encore, le temps est toutefois suspendu : l’action rapide et massive de l’Etat en termes de soutien aux trésoreries permet d’absorber, de masquer transitoirement le choc. Le réveil risque toutefois de se révéler brutal sans action plus pérenne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la FFB continue de demander la suppression des charges patronales jusqu’en fin d’année, ce qui constituerait un juste accompagnement des actions de protection de la santé de nos compagnons sur chantier.
Un plan de relance bâtiment indispensable, mais qui se fait attendre
Au-delà du confinement et de ses conséquences immédiates, se pose aussi un problème de niveau d’activité de moyen/long terme. De fait, la mise à l’arrêt des services instructeurs et le report des municipales, d’une part les incertitudes sur l’avenir rarement favorables à l’investissement, d’autre part pèsent sur les prises de commande. La sauvegarde du million et demi d’emplois dans le bâtiment, l’un des rares secteurs qui irrigue encore l’ensemble du territoire avec des entreprises présentes dans 91 % des communes de France, passe alors par un plan de relance ambitieux.
Avant de dévoiler les propositions de la FFB à ce sujet, deux remarques préliminaires méritent l’attention. Premièrement, il faut un plan à « prise rapide », pour limiter le trou d’air de septembre et les pertes d’emplois associées, qui en interdiraient la réalisation. Il convient donc de mobiliser le plus possible les dispositifs qui existent déjà, bien connus et maitrisés. Deuxièmement, la préoccupation écologique ressort primordiale. La profession ne peut que se féliciter que la rénovation énergétique se trouve au cœur des aspirations des Français. Toutefois, la FFB ne croit toujours pas aux vertus de l’obligation, surtout sans financement pérenne associé. La douloureuse expérience de la loi handicap de 2005, qui exigeait la mise en conformité de l’ensemble des établissements recevant du public à l’horizon 2015, est là pour le rappeler.
Les propositions de la FFB : un plan bâtiment vert …
En matière de rénovation énergétique, la FFB propose tout d’abord de renforcer le couple CITE-MaPrimeRénov’, au moins pour une période couvrant la fin 2020 et l’année 2021. Plus précisément, nous suggérons quatre mesures au gouvernement.
- Ramener à quelques centaines d’euros le reste à charge pour les ménages très modestes et modestes. Aujourd’hui, les aides nationales couvrent au mieux 90 % des travaux énergétiques, ce qui laisse souvent un montant bien trop important à la charge des ménages visés pour déclencher des opérations.
- Restaurer l’éligibilité complète des ménages des déciles 9 et 10 de revenu, soit à partir de 50 000 euros avant impôt par an pour un couple sans enfant, avec les mêmes barèmes que les ménages intermédiaires. Ce sont eux qui ont accumulé le plus d’épargne « forcée » pendant le confinement ; l’orienter vers des travaux de performance énergétique constitue un bon moyen d’alimenter une croissance durable dans notre pays.
- Relever de 150 à 400 euros/m² le forfait pour les rénovations globales, dont le coût s’approche souvent des 500 euros/m² dès lors qu’il s’agit de tendre ou d’atteindre le niveau BBC rénovation. Il s’agit d’une des mesures phares du plan FFB. Cette forte majoration doit permettre de prendre en charge une partie des gros travaux non énergétiques qui accompagnent une telle rénovation. C’est aussi un moyen efficace pour que les phases de gros travaux embarquent plus systématiquement la performance énergétique. En première analyse, nous estimons que 50 000 ménages pourraient s’inscrire dans une telle démarche à l’horizon de la fin 2021. La FFB propose même d’aller un pas plus loin, avec une prime poussée à 500 euros/m² en cas de prise en charge complémentaire de l’accessibilité.
- Rendre éligibles au CITE, puis à MaPrimeRénov’ les résidences secondaires en zone de revitalisation rurale, parc dont l’importance a été soulignée par la crise sanitaire et qui permet de générer de l’activité, donc de l’emploi, sur ces territoires.
À noter qu’il faudra s’assurer du bon déploiement de MaPrimeRénov’ en fin d’été. Si tel n’est pas le cas, la nécessité de répondre au plus vite à la sauvegarde de l’emploi et à l’amélioration de l’empreinte carbone de notre pays impliquera la prorogation du CITE en 2021 pour les ménages intermédiaires et aisés.
Le volet « rénovation énergétique » du plan proposé par la FFB passe aussi par une plus forte mobilisation des Certificats d’économie d’énergie (CEE). Nous suggérons ainsi un « coup de pouce » pour la rénovation globale des maisons individuelles, soit une aide relevée d’environ 50 €/m² à 200 €/m², et le financement de tout ou partie d’un nouveau Contrat d’accompagnement énergétique (CAE). Ce contrat permettrait d’accompagner un client après travaux énergétiques, en vue d’optimiser ses consommations d’énergie et de l’amener progressivement vers une rénovation globale.
Par ailleurs, au titre de la relance, la FFB demande à ce que tous les travaux d’amélioration-entretien bénéficient d’une TVA réduite à 5,5 %.
Notre approche couvre aussi le neuf. Ne serait-ce que parce qu’au rythme du 1 % du parc construit par an, le flux du neuf constituera 30 % du parc en 2050, voire 40 % du fait des démolitions et sorties habituelles de ce parc. Il s’agit donc d’un enjeu important en termes d’émission de gaz à effets de serre.
La FFB propose tout d’abord deux améliorations au PTZ. La première se résume au retour à un prêt de 40 % du montant de l’opération sur tout le territoire. De fait, contrairement aux attentes, le rabotage à 20 % en zones B2 et C depuis 2018 n’a pas conduit les candidats à l’accession vers des zones plus urbaines ou vers l’ancien, mais plus loin des villes et villages pour y trouver un terrain à bâtir moins cher. La baisse de l’aide a donc été vecteur d’étalement urbain ! Il convient de revenir en arrière. La seconde proposition correspond à une majoration temporaire à 60 % de la quotité pour les opérations affichant une performance meilleure que la règlementions en vigueur dans le neuf, avec un label « RE 2020 » à définir, ou pour des opérations associées à des travaux permettant un saut de deux classes du diagnostic de performance énergétique (DPE) dans l’ancien.
Quant au soutien à l’investissement locatif privé, la FFB suggère une profonde réforme du dispositif. C’est une autre des suggestions majeures de notre plan. Elle consiste à passer dès 2021 de dispositifs dérogatoires tels le « Pinel » ou le « Denormandie », qui viennent compenser une fiscalité spoliatrice, à un système durable, général, simple et lisible, prévoyant :
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l’amortissement du bâti pendant 50 ans, soit un taux de 2 % l’an, applicable au neuf comme à l’existant pour l’ensemble des biens mis en location, stock et flux ;
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l’amortissement des gros travaux sur 15 ans ;
-
la déductibilité des intérêts d’emprunt (sans limite), des petits travaux et des charges locatives des revenus fonciers bruts ;
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l’imputation sans limite du déficit foncier sur le revenu global positif ;
-
le maintien du régime actuel de taxation des éventuelles plus-values.
Il s’agit en réalité de reconnaitre à l’investissement locatif privé sa pleine nature d’activité économique. Le système serait par ailleurs « verdi » au travers d’un amortissement accéléré pour l’acquisition d’un bien de performance supérieure à la règlementation (label RE2020 déjà évoqué) et pour des travaux permettant de sauter deux classes DPE (diagnostic de performance énergétique).
Le plan de relance FFB vise aussi le non résidentiel, notamment au travers de l’ouverture transitoire du droit à suramortissement pour la construction de bâtiments dans le secteur privé, la majoration de 1 milliard d’euros de la Dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) , ce qui permettrait d’accompagner le déploiement de centres de collecte des déchets professionnels, ou bien encore du lancement d’un grand plan EHPAD.
… et les conditions de réussite du plan bâtiment vert
Sa pleine efficacité dépend, par ailleurs, de quelques mesures complémentaires.
Tout d’abord, il convient d’obtenir l’assouplissement des deux recommandations émises en décembre 2019 et confirmées il y a quelques jours par le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), à savoir ne pas accorder de prêt immobilier au-delà d’un taux d’effort de 33 % et pour une durée supérieure à 25 ans. On ne constate toujours pas de montée significative du risque lié à l’endettement immobilier en France, mais ces règles ont d’ores et déjà conduit à un durcissement de l’offre, avant même la pandémie. Les maintenir viendrait contrecarrer tout plan de relance bâtiment et toute velléité de faire financer des travaux lourds par du crédit.
Ensuite, il importe de définir clairement et au plus vite ce que visent les termes « artificialisation des sols ». De fait, s’il s’agit de préserver la biodiversité, la simple consommation foncière, sans faire de distinction entre une valorisation environnementale du foncier (parcs, jardins, permaculture) et une véritable imperméabilisation des sols, se révèlera inopérante.
Enfin, pour assurer un déploiement rapide du plan, il faut l’assortir d’un nouveau choc administratif de simplification, notamment en matière de traitement des permis. Il comprendrait notamment une division par deux des délais d’instruction de ceux qui restent aujourd’hui bloqués, une accélération du processus de dématérialisation des permis et la création d’un permis déclaratif, obtenu après vérification de la complétude du dossier pour tous les permis de construire déposés sur le périmètre d’une opération réalisée sous permis d’aménager ou en zone d’aménagement concerté. Il faut encore y ajouter, côté commande publique, un relèvement à 100 000 euros du seuil des appels d’offre.
Le coût budgétaire de l’ensemble de ces mesures avoisine les 5 milliards d’euros en rythme annuel. Elles s’inscrivent en ligne avec le grand objectif de viser 500 000 logements neufs et 500 000 rénovations par an pour répondre aux besoins. Mises en place rapidement et de façon durable, elles permettront aux artisans et entrepreneurs de recruter 150 000 talents à l’horizon 2023, année de la finale internationale de la compétition Worldskills (Olympiades des métiers) à Lyon.
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