Recours abusifs contre les permis de construire : où en est-on trois ans après la réforme ?

Les recours abusifs contre les permis de construire pèsent sur l'activité des constructeurs. Grâce à l'action de la FFB, des mesures ont été prises en 2013 1. Voici un premier bilan avec l'éclairage de la jurisprudence.
11:0006/04/2016
Rédigé par FFB Nationale
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Batiment Actualité Numéro 6 | Avril 2016

Encadrement de l'intérêt à agir

Lorsqu'une personne, non regroupée en association, souhaite attaquer un permis, elle doit désormais démontrer que la construction, l'aménagement ou les travaux risquent d'affecter directement son bien.

C'est une condition pour que le recours soit recevable.

 

Les juges ont précisé que cette personne doit justifier, par des éléments suffisamment précis et étayés, que le projet contesté troublerait directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien 2.

 

Le recours d'un voisin n'est donc plus recevable s'il se limite à faire valoir sa qualité de voisin et à lister (sans les prouver) les nuisances que la future construction lui causerait 3.

 

La qualité de voisin immédiat (parcelle mitoyenne ou en covisibilité) ne suffit plus à créer une présomption d'intérêt à agir contre un permis. Le fait de produire un plan de situation sommaire des parcelles assorti de la mention « façade sud fortement vitrée qui créera des vues » ne suffit pas non plus à prouver une atteinte directe 4.

Ces décisions pourraient avoir pour conséquence d'imposer aux voisins de faire appel à des professionnels (architectes, experts, bureaux d'études...) pour démontrer l'atteinte directe à leur bien. Cette contrainte génératrice de frais pourrait donc réduire les recours abusifs...

Les éléments présentés au dossier doivent être suffisamment précis et étayés, sinon le recours est jugé irrecevable !

 

Si, dans son recours, la personne ne prouve pas clairement son intérêt à agir, le juge doit rejeter le recours, sans audience publique. Le recours est dit « irrecevable 4 ».

Régularisation des permis en cours de procès à l'initiative du juge

Le juge administratif peut désormais permettre au maître de l'ouvrage de régulariser son permis de construire illégal en cours de procès.

 

Avant, même pour une irrégularité mineure, le juge devait annuler le permis dans son ensemble, et le constructeur devait repartir de zéro pour réaliser son projet.

 

Le juge a le choix entre :

  • surseoir à statuer, c'est-à-dire reporter son jugement à plus tard, pour permettre au constructeur d'obtenir un permis modificatif qui régularisera la situation.
    Si la régularisation a lieu dans le délai fixé par le juge, le recours contre le permis tombera automatiquement.
    Dans le cas contraire, le juge pourra prononcer l'annulation du permis?;
  • prononcer l'annulation partielle du permis attaqué et fixer un délai pour régulariser la situation, avec un permis modificatif.
    Pour pouvoir utiliser ce mécanisme, il faut que l'illégalité porte sur une partie identifiable du projet et qu'elle puisse être régularisée par un permis modificatif 5.
    Si l'illégalité affecte le permis dans son entier et ne peut pas être régularisée par un permis modificatif, l'annulation partielle n'est pas possible 6.

Dès lors que le maître de l’ouvrage prouve qu’un préjudice excessif lui a été causé par le recours abusif, il peut demander que lui soient versés des dommages et intérêts.

Dédommagement immédiat du maître de l'ouvrage par le juge administratif

En cas de recours abusif, le maître de l'ouvrage peut désormais demander directement au tribunal administratif de condamner l'auteur du recours à lui payer des dommages et intérêts.

Il faut toutefois que le maître de l'ouvrage prouve que ce recours abusif lui a causé un préjudice excessif.

 

Avant, il fallait réclamer les dommages et intérêts auprès d'un autre juge, après que le tribunal administratif avait reconnu que le recours était abusif.

C'est un gain de temps considérable pour obtenir une indemnisation?!

 

La demande de dédommagement du maître de l'ouvrage peut être présentée pour la première fois devant la cour d'appel 7, mais pas devant le Conseil d'État 8.

 

Le tribunal administratif de Lyon, dans une décision du 17 novembre 2015 9, est le premier à avoir accepté une demande d'indemnisation directe du maître de l'ouvrage, en condamnant les auteurs du recours abusif à lui payer 82 700 €.

Pour établir que le recours était abusif, le juge a retenu que les requérants n'avaient présenté que des arguments infondés ou irrecevables, dans un contexte de conflit politique.

Pour établir le préjudice excessif, le juge a retenu la perte résultant du portage financier du programme, la modification du taux de TVA et la perte de revenus locatifs due au retard des mises en location (mais il a écarté le préjudice moral du maître de l'ouvrage).

 

Les requérants ont fait appel de cette décision.

C'est un signe encourageant de la volonté des juges de sanctionner les recours abusifs.

Autres arrêts importants

Responsabilité personnelle du dirigeant

Le dirigeant d'une société commet une faute séparable de ses fonctions en engageant, au nom de la société, de nombreux recours contre des projets immobiliers, alors que ces recours sont étrangers à l'objet et à l'intérêt de la société. C'est donc sa responsabilité personnelle qui a été retenue à l'égard du promoteur 10.

 

La demande de dommages et intérêt élevés est une riposte légitime

Le fait de demander des dommages et intérêts élevés à un voisin qui a fait un recours abusif est une riposte légitime et proportionnelle au manque à gagner causé par le recours abusif, même si cela a pour effet de le déstabiliser et de le pousser à retirer son recours 11.

1

Ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l'urbanisme.

2

C.E., 10 juin 2015, n° 386121.

3

T.A. Versailles, 16 mars 2015, n° 150267.

4

C.E., 10 février 2016, n° 387507.

5

C.E., 1er octobre 2015, n° 374338.

6

C.E., 9 avril 2014, n° 338363.

7

C.E., 18 juin 2014, n° 376113.

8

C.E., 3 juillet 2015, n° 371433.

9

T.A. Lyon, 17 novembre 2015, n° 1303301.

10

Cass. chambre commerciale, 10 novembre 2015, n° 14-18.179.

11

Cass. chambre civile, 5 mars 2015, n° 14-13.491.

Lexique

T.A. : tribunal administratif

C.E. : Conseil d'État

Cass. : Cour de cassation

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