Les entreprises du patrimoine au secours de Notre-Dame

Initié dès le lendemain du terrible incendie du 15 avril 2019, le chantier de sécurisation de Notre-Dame de Paris devrait être achevé cet été. Engagées corps et âme durant ces deux années, les entreprises du patrimoine ont donné le meilleur d’elles-mêmes pour sauver l’édifice, à la fois ouvrage monumental et symbole universel. Ce chantier extraordinaire, qui, pour beaucoup d’intervenants, demeurera celui d’une vie, a été marqué par de nombreux exploits techniques et logistiques. Récit.
14:1419/10/2021
Rédigé par FFB Nationale
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Bâtimétiers Numéro 63 | Juin 2021

Le tragique événement est malheureusement connu de tous. Le 15 avril 2019, en fin d’après-midi, un incendie ravage la cathédrale Notre-Dame de Paris. Très rapidement, des centaines de sapeurs-pompiers se relaient, au péril de leur vie, pour éteindre le feu. Ils en viennent finalement à bout le matin du 16 avril. Mais les dégâts sont immenses : la quasi-totalité du toit et des 600 tonnes de charpente – appelée « la Forêt » – de la cathédrale a disparu. Dans sa chute, la flèche a éventré plusieurs voûtes du transept, laissant des trous béants. À l’intérieur, des tonnes de gravats de pierres noircies et de bois calciné se retrouvent au sol, tandis que des poussières et des vapeurs de plomb saturent l’atmosphère. À l’extérieur, l’échafaudage qui avait été monté pour restaurer la flèche est resté debout, mais s’est soudé sous l’effet de la chaleur. Tout le pays, et bien au-delà, s’émeut de cette tragédie qui touche l’un des monuments les plus connus au monde.

Les promesses de dons, qui se comptent en centaines de millions d’euros, affluent de partout, et le président de la République promet alors de reconstruire la cathédrale en cinq ans.

De l’émotion à l’action

 Et de fait, dès le matin du 16 avril, une organisation exceptionnelle se met en place pour sauver Notre-Dame. Car, avant de pouvoir envisager sa reconstruction, décidée à l’identique, encore faut-il déjà stabiliser et sécuriser l’ouvrage, qui menace à chaque instant de s’effondrer. Philippe Villeneuve, Architecte en Chef des Monuments historiques en charge de la cathédrale, peut immédiatement compter sur les entreprises des monuments historiques, déjà présentes dans le cadre du chantier de restauration de la flèche, et qui proposent spontanément leur aide. « Impuissants face à l’incendie, nous avons d’abord pleuré comme des gosses en constatant les dégâts, confie Didier Durand, ex-président de Pierrenoël, entreprise de taille de pierre (Paris), chargé de coordonner les travaux dans les premiers temps. Mais nous avons rapidement repris nos esprits : il fallait agir vite et prendre les bonnes décisions en urgence. »


Solidaires, mues par une énergie enthousiaste, les entreprises retroussent leurs manches pour s’attaquer à ce chantier hors norme.

© OSMOS GROUP SA

Une structure sous surveillance permanente

L’incendie ayant fragilisé la structure de Notre-Dame, il était nécessaire d’assurer vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept la surveillance et le suivi des mouvements potentiels de l’édifice, dont l’effondrement était redouté. Le maître d’ouvrage a pour cela fait appel à l’entreprise Osmos (Paris), spécialisée dans la surveillance du comportement mécanique des structures. « Nous sommes intervenus en urgence quelques jours après l’incendie, relate Thomas de Lamartinie, ingénieur d’affaires principal chez Osmos. En moins d’une semaine, nous avons installé une dizaine de lasermètres, que nous avons complétés par la suite par 24 autres unités. Ces capteurs, reliés à deux stations d’acquisition de données, pointaient sur l’intrados des voûtes pour détecter en temps réel le moindre mouvement d’affaissement. » Parallèlement, les arcs-boutants et les murs gouttereaux fragilisés – qui constituent la structure principale de l’édifice – et les quatre angles de l’échafaudage incendié ont été instrumentés avec des inclinomètres, pour mesurer l’éventuel basculement des structures, ainsi qu’avec des cordes optiques. « Ces capteurs, basés sur la technologie de la fibre optique, mesurent les déformations structurelles au micron près cent fois par seconde, ce qui permet de détecter instantanément la moindre instabilité », poursuit Thomas de Lamartinie.

Tous ces capteurs ont été reliés à un dispositif constitué d’alertes visuelles, sonores, et d’envois de SMS et d’e-mails aux personnes en charge, ce qui permettait de réagir très rapidement en cas de mouvement suspect. « Heureusement, hormis quelques alertes sérieuses sur l’échafaudage, qui ont notamment conduit à devoir le renforcer par endroits, les voûtes et les arcs-boutants se sont bien comportés », témoigne Thomas de Lamartinie.

Plusieurs urgences à gérer de front

Après la catastrophe, la priorité est d’assurer la stabilité structurelle de l’édifice ainsi que la sécurité des intervenants. Alors que nombre de statues et autres chimères reposant sur des supports fragilisés sont délicatement déposées et mises à l’abri, l’une des plus grandes urgences concerne le pignon nord du transept : il menace de s’effondrer à tout instant sur les immeubles de la rue du Cloître. Il faut rapidement monter un étaiement pour le soutenir. « Nous avons crayonné sur du papier à même le sol des croquis de renforts tout de suite envoyés à notre bureau d’études pour qu’il les calcule précisément, se rappelle Julien Le Bras, PDG de Le Bras Frères, entreprise du patrimoine spécialisée en charpente et couverture (Jarny, Meurthe-et-Moselle). En moins d’une heure, celui-ci nous renvoyait une modélisation 3D, validée dans la foulée par l’Architecte en Chef et les pompiers. » L’entrepreneur a alors vingt-quatre heures pour mettre en œuvre sa solution, à savoir un épais plancher en lamellé-collé posé au-dessus du mur gouttereau, sur lequel repose un système d’étaiement ! Durant ce laps de temps, il s’agit de commander, d’acheminer, d’assembler et de poser 30 m³ de pièces de bois. « Nous avons appelé tous les fournisseurs que nous connaissions, et ils ont répondu présents, tout comme nos équipes qui ont œuvré d’arrache-pied pour fabriquer et livrer à temps le renfort du pignon nord », relate Julien Le Bras.

Un parapluie géant de 4 000 m²

Parallèlement à cette consolidation d’urgence, il est décidé de mettre hors d’eau l’ensemble projecdes voûtes de la nef et du chœur. « Les matériaux avaient été totalement saturés d’eau lors de l’intervention des pompiers. En rajouter encore aurait pu fragiliser davantage les structures », souligne Didier Durand. Un orage étant attendu le 20 avril, il fallait agir vite. La solution d’une bâche intégrale tendue, supportée par des poutres, est très vite retenue. « Nous avons fait venir de toute l’Europe des poutres treillis métalliques, que nous avons grutées et fixées de part et d’autre de la nef et du chœur », explique Xavier Rodriguez, PDG du groupe Jarnias, spécialisé dans les travaux en hauteur (L’Haÿ-les-Roses, Val-de-Marne). Parallèlement, les éléments de bâche fabriqués sur mesure sont lacés et soudés ensemble par les cordistes de l’entreprise pour former un parapluie géant de 4 000 m². Ces acrobates œuvrent également à la mise en place de filets de sécurité pour retenir d’éventuelles chutes de pierres.

Nous avons fait venir de toute l’Europe des poutres treillis métalliques, que nous avons grutées et fixées de part et d’autre de la nef et du chœur.

Xavier Rodriguez, PDG du groupe Jarnias, spécialisé dans les travaux en hauteur, L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne)

Les scientifiques au chevet de Notre-Dame

Parallèlement au chantier de sécurisation, mené par les entreprises du patrimoine, se tient un autre chantier, piloté cette fois par des scientifiques. À la manœuvre, les ingénieurs et experts du Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), en collaboration avec le CNRS. L’intervention de ce service de l’État à compétence nationale, spécialisé dans la restauration des édifices classés et inscrits, poursuit deux objectifs complémentaires. Le premier, de court terme, vise à accompagner pragmatiquement le chantier de restauration : « À travers l’analyse des pierres, des structures en bois, des peintures, des vitraux ou des pièces métalliques, nous établissons des protocoles et émettons des recommandations auprès du maître d’ouvrage pour que les techniques et produits mis en œuvre lors du nettoyage et de la restauration soient compatibles avec le respect et la sauvegarde des matériaux d’origine », expose Aline Magnien, directrice du LRMH. Dans les laboratoires du LRMH à Champs-sur- Marne (Seine-et-Marne), l’évaluation de la résistance mécanique résiduelle des pierres noircies, suite au choc thermique qu’elles ont subi, permet par exemple de préciser l’état du monument en vue de la phase de restauration. Le second objectif est purement scientifique. Chacun des gravats extraits du chantier est considéré comme un vestige archéologique : « Les différents matériaux que nous récoltons apportent un éclairage nouveau sur la façon dont la cathédrale a été construite », poursuit Aline Magnien. Ainsi, l’analyse de certains éléments métalliques retrouvés a montré qu’ils étaient utilisés dès le XIIe siècle, « alors que l’on pensait jusqu’ici que le métal n’avait été employé qu’à partir du XIIIe siècle », illustre la directrice du LRMH. Les dizaines de tonnes de gravats soigneusement triés, étiquetés et conservés sont encore loin d’avoir livré tous leurs secrets. « Le travail de recherche à partir des matériaux de Notre-Dame ne fait que commencer, et les premières thèses sont déjà lancées », conclut Aline Magnien.

Dépose des vitraux : un pour tous, tous pour un !

Dans les premiers jours, l’une des priorités est également de sauver les vitraux de la cathédrale. Par chance – par miracle, diront certains ! – bien que pollués au plomb, ceux-ci ont été très peu touchés par l’incendie. « Mais il fallait les mettre en sécurité pour les protéger d’éventuelles projections liées aux travaux de sécurisation, et pour vérifier que l’intense chaleur à laquelle ils avaient été exposés ne les avait pas fragilisés », justifie Julien Le Bras. Alors qu’Europe Échafaudages, filiale de Le Bras Frères, déploie des échafaudages le long de la totalité des murs gouttereaux de la nef et du chœur, une « dream team » constituée des huit meilleurs ateliers de maîtres verriers de France1 se prépare à l’action, accompagnée de trois entreprises de ferronnerie d’art2. Sur le papier, la mission était « simple » : il fallait déposer en cinq jours la totalité des 27 baies de 75 panneaux chacune du chœur et de la nef. Quarante-cinq maîtres verriers des huit ateliers se sont alors regroupés pour faire œuvre commune dans un temps record. « Chaque atelier était responsable de plusieurs baies. Alors que notre activité est habituellement très concurrentielle, tous les ateliers ont, pour l’occasion, uni leurs forces pour sauver le monument », se félicite Pierre-Alain Parot, maître verrier de l’atelier Parot (Aiserey, Côte-d’Or). L’opération était délicate : « Les solins de mastic et les calfeutrements des feuillures, qui dataient de 1870, étaient très durs, et il fallait les enlever avec une infinie précaution pour ne pas risquer de briser les verres de 2 à 3 mm d’épaisseur », détaille le maître verrier. La tâche, entièrement manuelle, est réalisée avec des petits burins, des outils très fins permettant de dégrader délicatement et progressivement les solins et les calfeutrements. « Chaque maître verrier a récupéré les panneaux qu’il avait démontés pour les évacuer dans son atelier. Nous les y avons gardés plus d’un an. Nous avons pu constater que beau- coup de vitraux nécessitaient une restauration, lourde pour les vitraux du chœur et plus légère pour ceux de la nef. » Des travaux qui devraient être lancés durant la phase de restauration proprement dite de la cathédrale.

Il faut imaginer un mécano instable de 200 tonnes et de 40 000 pièces, dont des milliers de moises soudées par l’incendie, à démonter élément par élément ! 

Julien Le Bras, PDG de Le Bras Frères, entreprise du patrimoine spécialisée en charpente et couverture, Jarny (Meurthe-et-Moselle)

Des milliers de moises soudées par l’incendie

L’un des morceaux de bravoure du chantier de sécurisation tient sûrement dans le démontage de l’échafaudage calciné par l’incendie, dont la fragilité pouvait entraîner sa chute à tout instant. « Il faut imaginer un mécano instable de 200 tonnes et de 40 000 pièces, dont des milliers de moises soudées par l’incendie, à démonter élément par élément ! » illustre Julien Le Bras. La réalisation de cet exploit a demandé une phase préparatoire de plusieurs mois. Dans un premier temps, il a notamment fallu consolider l’échafaudage. « Pour éviter qu’il ne s’écarte ou ne se referme sur lui-même, nous l’avons cerclé en pied, en tête et en son centre avec des poutres de 28 mètres de long », décrit Julien Le Bras. Une fois les mouvements de l’échafaudage sous contrôle, son démontage a pu commencer. « Le cœur de l’échafaudage incendié formant un impressionnant porte-à-faux de tubes soudés par la chaleur, il n’était pas possible d’y accéder par voie terrestre. » Il fallait le faire par le haut, et par voie aérienne. Pour y parvenir, deux poutres de 25 mètres de long ont été installées sur deux échafaudages complémentaires, montés de part et d’autre de la structure incendiée. C’est depuis ce portique que les cordistes de Jarnias sont descendus pour découper à la scie sabre les moises soudées, grâce à un système de suspension très innovant. « Le système disposait de mécanismes automatiques qui permettaient de libérer nos cordistes de toute contrainte d’accès et d’évolution dans les trois dimensions : ils pouvaient ainsi se concentrer entièrement sur leurs tâches », décrit Xavier Rodriguez. Deux équipes de cinq cordistes se sont relayées six jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour découper le cœur de l’échafaudage, qui représentait 20 % du total. Les 80 % restants ont été démontés par Europe Échafaudages depuis des nacelles.

© PATRICK ZACHMANN / MAGNUM PHOTO

Jean-Louis Georgelin,

général d’armée, représentant spécial du président de la République, président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris

Les entreprises du patrimoine ont-elles été à la hauteur de vos attentes sur ce chantier extraordinaire ?

Les entreprises et les compagnons, mobilisés depuis l’incendie, ont accompli un travail exceptionnel auquel je tiens à rendre hommage. Qui plus est, les entreprises ont souvent eu à faire face à des situations inédites et complexes auxquelles, à l’instar du démontage de l’échafaudage sinistré et de la dépose du grand orgue, elles ont répondu avec brio et réactivité. Je veux souligner aussi la bonne entente et la coopération entre les entreprises qui interviennent sur le chantier. Il faut que la France sache qu’elle est riche de savoir-faire d’exception, portés par des hommes et des femmes passionnés et des entreprises dont l’expertise est unanimement reconnue. Je formule le vœu que ce chantier crée des vocations, notamment parmi les jeunes. Il s’agit d’ailleurs d’une mission importante de l’établissement public, pour laquelle nous avons déjà organisé de nombreux événements, dans le cadre notamment des Journées européennes du patrimoine et des Journées européennes des métiers d’art.

Quand les premiers appels d’offres pour les travaux de restauration proprement dits seront-ils lancés ?

Les premiers travaux de restauration commenceront fin 2021, à la suite d’appels d’offres pour des travaux, dont certains sont déjà engagés afin de permettre les opérations de nettoyage et de restauration des intérieurs. Les appels d’offres pour les travaux qui concernent les parties hautes de la cathédrale seront lancés progressivement à partir de l’hiver prochain.

Alors que notre activité est habituellement très concurrentielle, tous les ateliers ont, pour l’occasion, uni leurs forces pour sauver le monument.

Pierre-Alain Parot, maître verrier de l’atelier Parot, Aiserey (Côte-d’Or)

Le cintrage millimétré des arcs-boutants

Si environ 15 % des voûtes de la cathédrale ont disparu lors de l’incendie, l’état de celles qui restent est inquiétant. « Nombre d’entre elles ont pu être fragilisées par l’incendie : le feu a pu agir sur les mortiers, sur les pierres, sur leur cohésion, et l’eau déversée par les pompiers a pu créer des chocs thermiques et dégrader les joints entre les pierres », analyse Didier Durand. Dans un premier temps, les entreprises doivent prévenir les conséquences d’effondrements éventuels, qui pourraient menacer l’équilibre des charges et entraîner comme des dominos les murs de la cathédrale et les arcs-boutants, qui assurent leur contreventement. « Au cas où une voûte se serait effondrée, il fallait concevoir un dispositif pour empêcher les arcs-boutants, qui continuent à pousser, d’entraîner la chute vers l’intérieur des murs sur lesquels ils s’appuient », poursuit Didier Durand. Pour annuler cette éventuelle poussée, un ingénieux système constructif a été imaginé. Soit 28 cintres en mélèze de 16 mètres de long pour 8 tonnes par unité, conçus et fabriqués sur mesure par Le Bras Frères. « Si une rupture de charge se produit, l’arc-boutant vient transmettre sa charge sur le cintre sous-jacent, annulant de ce fait l’effort de poussée », poursuit Julien Le Bras. L’installation de chacun de ces éléments en bois massif, qui a nécessité préalablement le renfort en maçonneries par Pierrenoël pour « asseoir » les arcs, a demandé des trésors de minutie. « Nous avons conçu un palonnier d’accroche et de levage des cintres, tenu par une grue opérée par Fal Industrie. Réglable pour s’adapter à chaque géométrie, il nous a permis d’insérer précisément chaque cintre sous les arcs-boutants, sachant que nous disposions d’un jeu de seulement 3 cm ! » relate Julien Le Bras. L’espace interstitiel était ensuite comblé par des couchis, petites pièces de bois permettant d’assurer la liaison structurelle entre les arcs et les cintres.

Les matériaux avaient été totalement saturés d’eau lors de l’intervention des pompiers. En rajouter encore aurait pu fragiliser davantage les structures. 

Didier Durand, ex-président de Pierrenoël,entreprise de taille de pierre, Paris (XXe arrondissement)

Empêcher l’effondrement des voûtes

Pour parer à l’effondrement des voûtes et les consolider, deux phases complémentaires étaient nécessaires. La première a consisté à nettoyer les extrados des voûtes, alourdis par de nombreux débris de bois et de charbon. « Pour ne pas risquer de les fragiliser davantage, il était hors de question de poser un seul pied sur ces extrados », justifie Didier Durand. C’est suspendus depuis des rails fixés en sous-face de poutres en bois posées sur les murs gouttereaux que les cordistes de Jarnias ont pu dégager manuellement et grâce à des excavatrices aspiratrices les débris qui pesaient sur les voûtes. « Une vingtaine de personnes ont été mobilisées jour et nuit pendant six mois pour réaliser cette tâche », souligne Xavier Rodriguez. Une fois dégagé, l’extrados des voûtes a été consolidé par un mélange de plâtre et de chaux.

La dernière phase de sécurisation des voûtes fragilisées du chœur, de la nef et du transept est réalisée grâce à un procédé de cintrage spectaculaire. « Nous avons fabriqué sur mesure une centaine de cintres de bois (400 m³ au total) que nous avons plaqués en sous-œuvre sur l’intrados des voûtes », décrit Julien Le Bras. Ces cintres reposent sur une forêt d’étaiements, qui montent à 40 mètres de hauteur en plein cœur de la cathédrale.

Cette étape, qui devrait s’achever en juillet 2021, marquera la fin de la mise en sécurité de la cathédrale. Alors que les premiers appels d’offres pour la restauration devraient être lancés cet été, les prémices de la remise en état ont commencé par le nettoyage des statues de la flèche. « Par miracle, nous avions déposé ces 16 statues des apôtres et des évangélistes trois jours avant l’incendie, car elles faisaient partie du programme de restauration de la flèche », explique Richard Boyer, directeur de la Socra, spécialisée notamment dans la restauration de sculptures en pierre et en métal (Marsac-sur-l’Isle, Dordogne). Le nettoyage de ces statues, dont la peau de cuivre, maintenue par un squelette en fer pur, ne fait que 1 mm d’épaisseur, a été effectué dans les ateliers de la Socra. « Outre la recréation à l’identique des parties altérées en fer forgé, nous avons sablé, puis appliqué une peinture anticorrosion recouverte d’une fine pellicule de téflon sur les armatures, afin de les isoler définitivement du phénomène de pile », détaille Richard Boyer. Quant à l’épiderme en tôle de cuivre des statues, « il a été nettoyé, soudé, redressé par endroits, puis nous avons appliqué une patine brune, similaire à la patine d’origine », précise-t-il. La Socra a également participé à la dépollution des décors intérieurs peints dans les chapelles de la cathédrale.

« Dans le cadre d’un chantier expérimental dans deux des chapelles, nous avons testé l’application de différentes techniques, dont l’aspiration absolue pour les particules de plomb, les cataplasmes ou les lasers », décrit Richard Boyer. Ce travail permettra au maître d’ouvrage de mieux calibrer le cahier des charges pour les travaux de dépollution des 29 chapelles de l’édifice.

Dans le cadre d’un chantier expérimental dans deux des chapelles, nous avons testé l’application de différentes techniques. 

Richard Boyer, directeur de la Socra, spécialisée notamment dans la restauration de sculptures en pierre et en métal, Marsac-sur-l’Isle (Dordogne)

Philippe Villeneuve,

Architecte en Chef des Monuments historiques

Pour vous, maître d’œuvre, quels ont été les défis techniques majeurs de l’opération de sauvetage de la cathédrale ?

Le lendemain de l’incendie, j’ai inspecté l’édifice où des bois fumaient encore, l’eau ruisselait depuis les voûtes sur les murs, les charbons des bois calcinés recouvraient le sol dans les flaques d’eau noircie, dans une odeur âcre et prenante. J’avais enfoui toute émotion personnelle et j’ai établi ainsi un premier diagnostic. Ont alors été identifiées les parties du monument qui menaçaient de s’effondrer et de causer des dégâts supplémentaires. Il était donc essentiel de bloquer tout mouvement, de déposer ce qui était instable, de sécuriser des parties entières comme les pignons des deux bras de transept, de fretter les deux piliers de la nef qui avaient été rubéfiés par les bois de la flèche, qui avait crevé la voûte pour finir sa combustion au pied des piliers. Puis protéger très vite les voûtes fragilisées des eaux de pluie a été une priorité absolue. À mesure que je progressais dans l’édifice, les problèmes apparaissaient et devaient trouver une solution. Il fallait aussi anticiper tout possible mouvement d’une structure audacieuse et fragilisée, éviter l’affaissement des voûtes, les déformations possibles, les poussées des arcs-boutants sur des voûtes déstabilisées.

Ce ne sont donc pas trois ou quatre défis, mais des dizaines qui ont été relevés le lendemain et les jours qui suivirent. Et cela, en pleine effervescence et en pleine coopération confiante avec les entreprises et la direction générale des Patrimoines, la DRAC et la Conservation, alors maîtres d’ouvrage.

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