Accompagner les mutations du bâtiment : entretien avec Etienne Crépon, président du CSTB

Seul centre de recherche à développer une approche globale des enjeux du bâtiment, le CSTB joue aussi un rôle essentiel dans l’accompagnement de l’innovation, depuis l’idée jusqu’à la mise sur le marché, et dans l’évaluation et la valorisation des performances des produits et systèmes de construction – en particulier sur le champ environnemental, avec un nouveau dispositif qui sera lancé début 2022.
8:1906/12/2021
Rédigé par FFB Nationale
revue
Retrouvez ce dossier dans notre revue Bâtimétiers
Bâtimétiers Numéro 65 | Décembre 2021

Quelle est l’activité du CSTB en matière de recherche, et quel est l’apport de ses travaux pour la filière du bâtiment ?

Étienne Crépon — Créer et partager des connaissances au service de l’ensemble de la filière est l’une des grandes missions du CSTB. Il faut souligner à ce sujet que, s’il existe un grand nombre de centres de recherche spécialisés dans des domaines comme la thermique, l’acoustique ou le numérique, le CSTB est le seul lieu où toutes ces compétences sont réunies, dédiées principalement au bâtiment et à la ville. Cette pluridisciplinarité fait notre spécificité. Elle va de pair avec une approche systémique : le bâtiment est un objet complexe, remplissant une multiplicité de fonctions, et nous l’abordons de manière globale, toujours en regard des grands enjeux auxquels il doit répondre.

 

Précisément, comment définissez-vous les enjeux qui structurent vos travaux de recherche ?

É. C. — Nous avons identifié quatre domaines d’action stratégiques, qui sont au cœur des préoccupations de nos concitoyens, comme des acteurs de la construction. Le premier est le bâtiment face aux enjeux du bien-vivre ensemble à l’échelle du quartier, ce qui recouvre la notion de confort, tant dans les espaces privés que publics, les questions sanitaires, acoustiques, électromagnétiques, mais aussi les sujets des énergies renouvelables, de la mobilité, des nouveaux usages… Le deuxième porte sur les enjeux climatiques, avec une double approche : comment limiter l’impact des bâtiments actuels et futurs sur le changement climatique, et réciproquement, en réduisant notamment leur empreinte carbone et les impacts sur l’eau, et comment les rendre plus robustes, plus résilients face au développement des événements climatiques extrêmes. Le troisième a trait à la rénovation, à la fiabilisation de l’acte de construire et à l’innovation. On y retrouve la question du numérique, mais aussi celle des solutions pré-industrialisées, sachant que la construction d’ouvrages ou de parties d’ouvrages en usine est un puissant facteur de limitation des erreurs et de la pénibilité sur les chantiers, ainsi que de rapidité d’exécution. Cette dernière question est pour l’essentiel devant nous, notre objectif étant de l’aborder de façon dépassionnée, objective et scientifique.

Enfin, le quatrième domaine d’action stratégique concerne l’économie circulaire. Nous savons que les ressources de la planète sont limitées et que nous devons optimiser leur utilisation en développant notre capacité à recycler ou à réemployer des produits. C’est un sujet complexe pour des objets à durée de vie très longue comme les bâtiments, à la différence de produits à durée de vie plus courte et pour lesquels il est plus simple de connaître leurs composants en détail, comme les téléphones.

 

Tirez-vous de vos travaux de recherche des scénarios pour le bâtiment du futur ?

É. C. — Nous y travaillons. En partenariat avec l’ADEME, nous avons entrepris une démarche prospective pour identifier ce que pourraient les scénarios d’usages des bâtiments à l’horizon 2050 et l’offre et la demande associées, tant quantitatives que qualitatives. Nous avons mis en place un comité de prospective qui a fait émerger un ensemble de vingt-quatre facteurs dont on estime qu’ils pourraient être déterminants. Il reste à finaliser les trois ou quatre scénarios représentatifs des futurs possibles. Cette dernière étape est en cours et ses résultats seront rendus publics en 2022.

 

Quel est votre rôle en matière d’accompagnement de l’innovation, et quelles tendances voyez-vous se dessiner dans ce domaine ?

É. C. — Pour pouvoir accéder durablement au marché, une innovation a besoin d’être évaluée par un tiers indépendant : c’est le rôle que les pouvoirs publics ont confié depuis cinquante ans au CSTB – selon un schéma que l’on retrouve dans la plupart des pays développés. Ce rôle est particulièrement nécessaire dans le secteur du bâtiment, qui se caractérise par une multiplicité d’acteurs, et il prend une importance croissante dans le contexte actuel de diversification des entreprises innovantes.

En effet, depuis une dizaine d’années, aux côtés des grands acteurs industriels qui maîtrisent parfaitement les processus de mise sur le marché et sont toujours très actifs en termes d’innovation, on voit émerger de nouveaux entrants – start-up, PME, entreprises en provenance d’autres secteurs que le bâtiment, etc. – qui sont en demande d’un accompagnement allant bien au-delà de l’évaluation, pour les aider à transformer une idée en un produit ou un procédé qui répondra aux besoins du marché. Cela nous a conduits à créer un incubateur d’entreprises innovantes, le CSTB’Lab. Nous y accueillons par exemple en ce moment des start-up qui se proposent de transformer des boues de dragage en matériau de construction, de développer un nouveau process pour concevoir des bétons ultra-bas carbone, ou encore d’utiliser des vieux vêtements pour fabriquer des isolants.

 

Au-delà des acteurs, quels sont les domaines techniques qui tirent l’innovation ?

É. C. — Dans la période actuelle, nous identifions trois moteurs de l’innovation. La transition environnementale, tout d’abord, avec le développement de produits qui rendent les ouvrages plus performants en termes d’énergie et d’impact carbone, mais aussi de protection de la ressource en eau et de la biodiversité. La révolution numérique, ensuite, avec le développement du BIM et l’émergence d’outils qui rendent facilement réalisables des opérations qui n’étaient pas envisageables il y a une dizaine d’années, en matière de calculs et de préfabrication, par exemple. Enfin, les besoins de rénovation. Pendant des années, la construction neuve a été le moteur de l’innovation, et les produits qui en étaient issus étaient utilisés également en rénovation. Aujourd’hui, on voit se multiplier en parallèle les innovations dédiées à ce marché, en particulier pour les travaux d’isolation.

 

Le développement de l’innovation rend d’autant plus nécessaire de disposer d’informations fiables sur les performances des produits. Comment abordez-vous cet enjeu ?

É. C. — Dans une économie mondialisée, où l’on est abreuvé d’offres et d’informations, aider les entrepreneurs à choisir le bon produit compte tenu de leurs besoins et de ceux de leur maître d’ouvrage est effectivement un enjeu essentiel. C’est une mission que le CSTB a développée au travers de son activité de certification des produits de construction, que ce soit sous la marque NF, sous sa propre marque QB, ou sous celle qu’il partage, pour les isolants certifiés Acermi, avec le Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE).

Nous avons décidé aussi d’innover dans ce domaine afin de répondre au besoin d’éclairage sur la performance environnementale des produits et systèmes de construction. L’objectif, en complémentarité avec les fiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES), est de proposer un dispositif simple et accessible d’évaluation de cette performance environnementale, que ce soit en termes d’écoconception, d’économie circulaire (recyclabilité, réemploi) ou de contribution du produit ou système au poids carbone de l’ouvrage dans lequel il sera inséré. Nous avons déjà élaboré et testé le processus d’évaluation ; il reste à préciser les modalités d’application, en vue d’un lancement début 2022.

Dans une économie mondialisée, aider les entrepreneurs à choisir le bon produit compte tenu de leurs besoins et de ceux de leur maître d’ouvrage est un enjeu essentiel.

Diplômé de l’École polytechnique et de l’École des ponts ParisTech, Étienne Crépon a occupé divers postes de responsabilité au sein de ministères, dont celui de directeur de l’Habitat, de l’urbanisme et des paysages de 2008 à 2014 au ministère en charge du logement, avant d’être nommé en 2014 président du Centre scientifique et technique du bâtiment.

Contenu réservé aux adhérents FFB

  • Profitez aussi de conseils et de soutien

    Des services de qualité, de proximité, avec des experts du Bâtiment qui connaissent vos enjeux métier et vous accompagnent dans votre quotidien d'entrepreneur.

  • Intégrez un réseau de 50 000 entreprises

    La FFB est fière de représenter toutes les entreprises du bâtiment, les 2/3 de nos adhérent(e)s sont des entreprises artisanales.

  • Bénéficiez des dernières informations

    Recevez Bâtiment actualité 2 fois par mois pour anticiper et formez-vous aux évolutions des métiers ou de la législation.

Pour contacter facilement votre fédération et accéder aux prochaines réunions
Vous n'êtes pas adhérent et vous cherchez une information ?