Relever ensemble les nouveaux défis de l'acte de bâtir : entretien avec Christine Leconte, présidente du CNOA

Réglementation environnementale et diversification des matériaux, réhabilitation et réemploi des déchets de construction, transformation de la ville et adaptabilité des bâtiments… Pour réussir les mutations de l’acte de construire, architectes, artisans et entreprises doivent avancer soudés.
13:5924/03/2022
Rédigé par FFB Nationale
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Bâtimétiers Numéro 66 | Mars 2022

En tant qu’architecte, comment abordez-vous la RE 2020 ?

Christine Leconte — Plus que la norme, c’est l’avancée vers des objectifs qui nous intéressent : atténuer les effets du bâtiment sur le changement climatique, sachant que le secteur représente 40 % des émissions de gaz à effet de serre, améliorer le confort d’été et d’hiver, utiliser des matériaux moins émetteurs d’énergie grise… La RE 2020 est une incitation à progresser dans tous ces domaines, et il est impressionnant de constater que les architectes ont pris à bras-le-corps la nouvelle réglementation, en l’abordant comme un levier pour améliorer globalement la conception des bâtiments.

 

La nouvelle réglementation va-t-elle changer selon vous les façons de construire ?

C. L. — La RE 2020 nous fait obligation d’élargir le panel des matériaux et favorise ainsi de nouvelles façons de construire. Le béton est un matériau que l’on connaît bien, et l’un des plus faciles à mettre en œuvre. Mais on va clairement vers la mixité et le développement de matériaux biosourcés tels que le bois, le chanvre, la paille… La question aujourd’hui est de savoir comment on va les utiliser. C’est un challenge pour les architectes mais aussi pour les artisans et les entreprises, et nous avons tout intérêt à nous entraider pour valoriser ces savoir-faire qui vont enrichir la conception comme la mise en œuvre. Je suis contactée, par exemple, par des élus qui veulent réaliser des bâtiments avec des murs en bottes de paille porteuses ou en préfabrication à base de béton de chanvre, et qui ont du mal à trouver des entreprises maîtrisant ces savoir-faire. Il nous faut donc construire ensemble de nouvelles filières, en travaillant en amont avec les producteurs et les transformateurs de matériaux.

Un autre sujet commun est celui du réemploi. Nous travaillons tous sur des chantiers où on nous demande légitimement de limiter les déchets. Nous avons une grande responsabilité dans ce domaine, car le BTP est un très gros producteur de déchets. Autour des chantiers de déconstruction et de reconstruction, on va voir se développer, là encore, de nouveaux modes de conception et de nouveaux savoir-faire, en nous amenant tous à considérer que le déchet peut être une ressource.

L’acte de bâtir est donc en train de muter profondément, et pour y faire face, tous les acteurs ont besoin d’avancer soudés.

 

Concernant les bâtiments existants, faut-il aussi changer les façons de réhabiliter ?

C. L. — Dans la même logique que pour le réemploi des matériaux, l’enjeu est aujourd’hui, plutôt que de « tout jeter » et « tout reconstruire », de réparer la ville, de réinventer les bâtiments en conservant leur structure, en partant d’un « déjà là » qui a une histoire sociale, une place dans la ville. L’acte de réhabilitation, c’est vraiment l’acte de construire du xxie siècle, et ce le sera d’autant plus qu’il est impératif aujourd’hui de limiter l’étalement urbain. Au lieu d’une contrainte, il faut y voir l’opportunité d’inventer d’autres formes urbaines, moins standard que ce que l’on a réalisé jusqu’à présent, car en réhabilitant, on peut tirer parti de la diversité de l’existant. L’enjeu est désormais de densifier le patrimoine urbain en étant capable de concilier nature et construction, aspiration au confort, espaces extérieurs et proximité. Nous avons besoin d’une nouvelle fabrication de la ville, en gardant en tête que le but ultime est de construire des espaces où l’on vit ensemble.

Pour les jeunes générations d’architectes, le temps du chantier redevient central,notamment dans le dialogue autour des matériaux mis en œuvre.

Christine Leconte

Dans cette logique, doit-on aussi aborder différemment la problématique du logement ?

C. L. — Tout à fait. D’abord, au lieu de se concentrer quasi exclusivement sur la construction neuve pour répondre aux besoins de logements, il faut élargir la question au stock de logements vacants : on en compte six cent mille dans les quartiers « Action cœur de ville », qui pourraient être réhabilités. Concernant les logements neufs, on a beaucoup misé, pour accélérer leur construction, sur les produits en défiscalisation du type « Pinel ». Cela revient à prendre le sujet sous un prisme principalement économique, et à fabriquer des logements de plus en plus petits, mono-orientés, où l’on a supprimé les entrées et les placards, sans espaces extérieurs, etc. Or, entre de tels logements collectifs et les logements individuels du type pavillon, que l’on oppose de manière simpliste, beaucoup de possibilités existent : les maisons en bande, superposées, avec des jardins partagés… Sans nier la question de la rentabilité, il faut retrouver un équilibre en intégrant mieux les enjeux sociétaux et écologiques dans la conception de l’habitat. Car il faut être bien chez soi pour être bien en ville !

 

Les architectes se sont-ils approprié les outils du digital, et quels progrès en attendez-vous ?

C. L. — L’appropriation du BIM dépend souvent de l’échelle des agences, comme d’ailleurs pour les entreprises de bâtiment, et si le BIM est utile pour certains projets, je ne suis pas sûre qu’une petite agence qui fait de la réhabilitation pour des particuliers, par exemple, et qui connaît bien les artisans avec lesquels elle travaille, gagne réellement du temps avec de tels outils. Cela dit, par les interactions qu’il suscite, le BIM est potentiellement un outil de dialogue et de résolution des problèmes entre les partenaires de l’acte de construire. Encore faudra-t-il pouvoir s’appuyer sur un modèle numérique universel, permettant de passer facilement d’un logiciel à l’autre, en évitant qu’un grand groupe extérieur à nos métiers s’approprie la technologie et nous fasse perdre nos savoir-faire.

Ce qui me paraît intéressant également dans la finalité du BIM, c’est de pouvoir livrer au maître d’ouvrage, en même temps que le bâtiment lui-même, une maquette numérique qui l’aide à gérer son bâti et facilite les opérations d’entretien, puis accompagnera les évolutions futures du bâtiment. Dans la fabrique de la ville de demain, les bâtiments auront plusieurs vies. On va passer de bureaux en logements, les usages hybrides vont se multiplier – en créant, par exemple, des logements au-dessus d’une école. La cartographie fournie par le BIM sera très utile pour réaliser ces mutations dans le temps.

 

Pour conclure, quel est votre message pour les entrepreneurs ?

C. L. — Je voudrais leur dire que la période que nous vivons, avec toutes ces mutations, appelle plus que jamais au dialogue entre nous. Plus nous saurons apprendre les uns des autres, plus nous monterons collectivement en compétences et serons fiers des ouvrages que nous réalisons. Discuter avec un artisan et trouver ensemble une solution créative, c’est tout l’intérêt de nos métiers en même temps que celui de nos clients. J’observe d’ailleurs que, pour les jeunes générations d’architectes, le temps du chantier redevient central, notamment dans le dialogue autour des matériaux mis en œuvre. Ce « retour à la matière », qui prolonge l’acte de conception sur le chantier, renforce les liens entre architectes et artisans ou entreprises. Je rêve d’ailleurs de voir se développer les échanges entre CFA et écoles d’architecture, pour fabriquer ensemble des modèles, mieux nous connaître et nous voir mutuellement comme de vrais partenaires pour réussir les projets !

Christine Leconte

© ANNE-CLAIRE HERAUD

Christine Leconte, précédemment présidente du Conseil régional d’Île-de-France de l’Ordre des architectes, a été élue en juin 2021, à l’unanimité, présidente du Conseil national. Elle est également architecte-conseil de l’État auprès de la DRAC Normandie et maîtresse de conférences associée à l’ENSA de Versailles. Elle a été lauréate du Palmarès des jeunes urbanistes 2010.

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