Lire un bâtiment ancien pour en reconstituer les parties disparues

Pour redonner vie au château Renaissance de l’Herm, en Dordogne, maître d’ouvrage, architecte et entreprises spécialisées dans les monuments historiques ont mis en œuvre une restauration dont la justesse est issue d’une lecture méticuleuse des traces laissées sur le bâti par les ouvrages disparus.
16:4815/06/2023
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Bâtimétiers Numéro 71 | juin 2023

Situé à Rouffignac-Saint-Cernin-de-Reilhac (Dordogne), le château de l’Herm est connu pour avoir inspiré l’écrivain Eugène Le Roy, qui en fit le décor de son célèbre roman Jacquou le Croquant, publié en 1899. Mais ce n’est pas la raison principale pour laquelle son actuel propriétaire, Nicolas de Laâge de Meux, en a fait l’acquisition en 2020. « Depuis l’adolescence, je rêvais de rénover un bâtiment ancien, soit médiéval, soit début Renaissance, avec une unité de style, raconte-t-il. Quand j’ai découvert le château de l’Herm, il n’avait plus ni toiture, ni charpente, ni planchers, ni huisseries, mais il restait une coquille de pierre en très bon état et des ornementations de style gothique flamboyant qui m’ont décidé à franchir le pas. » Composé d’un corps de logis avec sa tour d’escalier octogonale, flanqué de deux imposantes tours rondes, construit entre 1500 et 1520 sans parties rapportées ultérieurement, le château correspondait à ces prérequis et n’a en réalité brûlé que dans l’imagination du romancier qui y a situé son intrigue. Il a, en revanche, été vendu par morceaux au début du xixe siècle, ce qui explique pourquoi il avait perdu ses parties sommitales depuis deux cents ans. Pour mener à bien l’opération, le maître d’ouvrage s’est assuré le concours d’un architecte en chef des Monuments historiques, Olivier Salmon, qui a eu la tâche délicate de convaincre l’Administration.

« Inscrit à l’inventaire des monuments historiques en 1927 – puis classé en 2022 après le début des travaux – le château devait logiquement rester dans son dernier état connu, explique l’architecte. Mais le dossier que nous avons présenté apportait des garanties sur la stricte conservation des éléments préservés et un argumentaire suffisamment étayé concernant les éléments disparus à recréer, et nous avons obtenu l’autorisation de reconstruire les parties manquantes. »

 

©DR

Nicolas de Laâge de Meux, propriétaire du château de l’Herm, en Dordogne, et Amélie Legagneux qui s’est investie dans cette restauration à ses côtés.

Taille de pierre : laisser l’initiative à l’artisan

Les travaux de taille de pierre ont été réalisés en pierre d’Avy, venue de Charente-Maritime, un calcaire blanc au faciès « éveillé » qui capte la lumière, proche de la coloration d’origine. Ils ont été menés en majeure partie dans les ateliers de SN Billion Centre, une entreprise spécialisée « monuments historiques » établie à La Roche-Clermault (Indre-et-Loire). « Ce chantier se distingue par son ampleur, on restitue l’intégralité du chemin de ronde avec son parapet et ses corbeaux, et cinq lucarnes complètes de style xve siècle, ce qui est très rare, témoigne Frédéric Bourreau, dirigeant de l’entreprise. Notre travail est d’autant plus passionnant que nous pouvons proposer des calepins de taille originaux, qui sont validés par l’architecte. » Les fleurons, les crochets et les pinacles qui ornent les lucarnes, inspirés par le portail d’entrée, sont restitués par le sculpteur, comme cela se faisait à la Renaissance.

Maçonnerie : restaurer en respectant l’existant

 

Cette restauration hors norme a donc consisté à interpréter les traces des ouvrages disparus pour les redessiner et les reconstruire, avec la volonté d’être le plus proche possible du bâti d’origine. « Nous avons été surpris de constater que les maçonneries ont bien résisté aux pénétrations d’eau et au gel », constate Georges Lafaye, dirigeant des Compagnons Réunis, une entreprise de maçonnerie et taille de pierre qualifiée « monuments historiques », qui emploie 35 salariés à La Bachellerie (Dordogne). « Nous avons gardé au maximum en l’état la maçonnerie, en remplaçant les moellons manquants ou défectueux, et les vieux enduits existants, que nous avons refaits à l’identique aux endroits les plus abîmés », explique-t-il. Certaines parties manquantes – des arases de murs qui supportent la charpente aux encorbellements pour les machicoulis, et surtout les corbeaux soutenant le parapet qui avait complètement disparu – ont exigé des reconstitutions plus importantes. Les encadrements des baies à traverses et meneaux, très ouvragés, ainsi que les lucarnes en pierre de taille, réinventées par l’architecte qui s’est inspiré d’ouvrages similaires dans des châteaux environnants, ont été réalisés dans les ateliers de la société SN Billion Centre (voir encadré). De même, les trois cheminées aux armoiries du premier bâtisseur ont fait l’objet de greffes de pierre et d’un délicat ragréage suivi d’une patine de finition, tandis que la grande salle du corps de logis a retrouvé son sol d’origine en pisé.

 

Une charpente « fantôme » déduite de la lecture du monument

 

La charpente, dont il ne restait rien, a donné lieu à une entière restitution. Comme il l’avait déjà fait pour les lucarnes et pour les modénatures des poutres des planchers, l’architecte s’est inspiré de châteaux construits à la même période dans la région pour faire un premier dessin, qui a été remis aux Ateliers Férignac, implantés à Hautefort (Dordogne) et spécialisés dans la réalisation de charpentes anciennes. « Le défi que nous avons relevé était passionnant car, en accédant aux arases, nous avons pu situer les empochements, et en déduire la section et l’inclinaison des poutres initiales, explique le responsable du chantier, Denis Glémin. Cette “lecture” du monument nous a permis d’adapter le dessin initial à la géométrie de la maçonnerie, pour arriver à une charpente très proche de celle qui avait existé. » De même, les larmiers présents au-dessus des souches de cheminées ont donné de précieuses indications sur la hauteur précise où se trouvait la charpente. Grâce à ce travail de reconstitution, le logis est aujourd’hui recouvert d’une spectaculaire charpente traditionnelle à tenons et mortaises, qui a exigé près de 100 m3 de chêne. Pour conserver un aspect ancien harmonisé avec les façades, la couverture a été réalisée avec 40 000 tuiles plates de récupération, de différentes dimensions et colorations, qui donnent tout son caractère à la toiture. Démarrée en 2020 et prévue jusqu’en 2027, l’opération se poursuivra par les restaurations des tours nord et sud et de la tour d’escalier, suivies de l’ensemble des finitions, des aménagements extérieurs et enfin des lots techniques. « Nous espérons que ce château pourra ainsi, après avoir traversé cinq cents ans, vivre cinq siècles supplémentaires », conclut Nicolas de Laâge de Meux, celui qui l’a ressuscité.

Nous avons gardé au maximum en l’état la maçonnerie, en remplaçant les moellons manquants ou défectueux, et les vieux enduits existants, que nous avons refaits à l’identique aux endroits les plus abîmés. 

Georges Lafaye, dirigeant des Compagnons Réunis, à La Bachellerie (Dordogne).

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