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Envolée des prix sur les matériaux – Etat des lieux et conséquences
Après une première crise liée au redémarrage rapide de l’économie mondiale à compter de la fin de l’automne 2020, puis une deuxième crise déclenchée par l’envolée des prix de l’énergie à la fin de l’été 2021, une troisième crise puissante sur les matériaux du BTP s’est amorcée avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022. Elle passe par deux canaux principaux : d’une part, des situations spécifiques pour certains matériaux dont la production dépend de fournitures issues des pays belligérants (acier, aluminium, carrelage, …) ; d’autre part, une tension générale liée à la nouvelle crise de l’énergie.
Alors que les coûts moyens des entreprises de bâtiment (BT01 de l’Insee) affichaient déjà une progression de 5,4 % entre décembre 2020 et décembre 2021 (deux fois plus que l’inflation générale), puis encore de 3,9 % en glissement annuel sur trois mois à fin janvier 2022, et aussi que les analyses confirment une fragilisation de nombre de ces structures en termes de trésoreries comme de marges, la guerre en Ukraine constitue une sérieuse menace pour le secteur, donc pour ses emplois.
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Les index BT
Les index BT, calculés par l’Insee depuis février 2014, visent à refléter au mieux les coûts des entreprises, pour éviter des distorsions lors de l’application des formules de variation qui peuvent porter sur des montants très importants.
Le calcul de tous les index BT (37 au total, adaptés aux différentes activités exercées par les entreprises) repose sur l’agrégation de six grands postes : salaires et charges, matériaux, matériel, énergie, transport, frais divers. Leur poids relatif, ainsi que la composition du poste « matériaux » s’avèrent propre à chaque index BT.
Leur publication intervient avec trois mois de délai, décalage principalement dû à :
- la disponibilité des indices « salaires et charges » ;
- la fiabilité des indices de prix des matériaux, parfois même leur disponibilité. De fait, pour éviter les révisions de révisions de marché, les niveaux publiés des index BT sont définitifs, a contrario de ceux des indices de prix des matériaux. Il importe donc d’attendre la fiabilisation de ces derniers avant de publier les premiers.
Ces index accéléreront encore dans les prochains mois, compte tenu de la nouvelle envolée observée sur les prix des matériaux. Pour ne retenir que quelques exemples, selon l’Insee, entre novembre 2021 et février 2022, les prix des demi-produits en aluminium s’affichent à +16,3 % ou ceux des produits PVC à +11,6 % (cf. graphique 1). On relève également des hausses soutenues sur les tuiles (+11,5 %), les produits céramiques (+8,6 %), les produits plastiques (+6,5 %) ou les produits verriers (+4,9 %).
Quant aux produits acier, qui furent les premiers à connaitre pénurie et envolée des prix dès la fin 2020, ils ressortent à +3,5 % sur la même période. Mais les représentants des industriels et négociants du secteur (Alliance des minerais, minéraux et métaux –A3M–, Fédération française des distributeurs de métaux –FFDM– et Association professionnelle des armaturiers –APA) annoncent une flambée des prix sur le début 2022, sous les effets combinés du choc sur l’énergie (cf. infra.) et de difficultés d’approvisionnement en matériaux de base (ferrailles et demi-produits).
À noter que la mesure des évolutions des produits en bois pour le bâtiment, qui ressort assez faible dans les données officielles, continue d’interroger (voir encadré 2)
Des prix des produits bois pour le bâtiment mal suivis
Les indices officiels de prix des produits bois pour le bâtiment ne reflètent plus la réalité de 2021. De fait, l’Insee mobilise trois séries de prix dans les index BT des métiers concernés :
- « charpentes et menuiseries de bâtiment, en bois » (code 010534125), en hausse de 13,8 % entre décembre 2020 et décembre 2021 (et de 2,5 % entre novembre 2021 et février 2022) ;
- « autres éléments de menuiserie et de charpente » (code 010534578), qui affiche un renchérissement de 13,5 % sur la même période (et de 2,2 %) ;
- « panneaux et placages à base de bois » (code 010534121), en progression de 40,2 % toujours sur 2021 (et de 1,0 %), mais cet indicateur ne pèse que 24,1 % du poste matériaux du seul BT18a.
Or, entre les deuxièmes moitiés de 2020 et de 2021, une enquête de l’UMB-FFB après d’une quarantaine d’entreprises révèle une hausse moyenne de 55 % des produits bois facturés (plus d’une centaine de références), chiffre qui s’avère proche du ressenti terrain sur 2021.
Les remontées du terrain confirment clairement l’accélération des prix des intrants. Aux annonces « classiques », mais déjà fortes, de hausse des prix par les fournisseurs en début d’année, a succédé, depuis début mars 2022, une litanie de courriers-types explicitant les raisons d’une nouvelle envolée immédiate ou sous quelques semaines. Elles concernent les matériaux acier (toutes gammes, notamment armatures à béton), aluminium, bois, PVC, les vitrages, les tuiles et briques, l’isolation, le plaques de plâtre, le béton préfabriqué… et elles s’étalent de 5 % à 20 %, parfois même un peu plus, dans l’immédiat. De plus, nombre de ces courriers annoncent de nouvelles majorations à prévoir sous trois mois !
Par ailleurs, on relève le retour à des durées de validité très courtes sur les bordereaux de prix, parfois même des demandes de prise de commandes sans engagement de prix. Et plusieurs industriels ou distributeurs signalent des difficultés d’approvisionnement sur les produits acier, les tuiles, le carrelage, etc., ce qui les conduit parfois à instaurer des quotas.
Encore plus en amont, du côté des cours des matières premières qui orientent les prix de demain, les données de l’Insee confirment la nouvelle et nette inflexion à la hausse (voir graphique 2). De fait, le minerai de fer, qui s’était effondré de 53,4 % entre juillet et novembre 2021, a repris 63,7 % entre novembre 2021 et mars 2022 ; le nickel, l’aluminium et le zinc s’affichent respectivement à +96,2 %, +38,8 % et +24,2 % sur quatre mois à fin mars 2022 ; l’étain, qui n’a jamais fléchi, continue de progresser de 16,4 % sur la même période ; enfin le cuivre poursuit une hausse, à rythme toutefois plus modeste de 8,6 % sur trois mois.
L’accélération globale (hors situation propre à certains matériaux issus d’Ukraine, de Russie ou de Biélorussie), dont les prémices remontent à l’automne 2021, s’explique avant tout par l’envolée des prix de l’énergie et des émissions de CO2 (voir graphique 3). De fait, entre août 2021 et mars 2022, les prix de gros en euros explosent de plus de 191 % pour le gaz, de 275 % pour l'électricité, de 50 % pour le pétrole (Brent) et de 32 % pour le CO2.
Et pour cause, le déclenchement de la guerre en Ukraine a provoqué une nouvelle poussée de fièvre sur la fin février, largement retombée à la mi-mars et suivie depuis de faibles mouvements, qui traduisent surtout une grande incertitude (cf. graphique 4). Or, la production de certains des intrants du bâtiment déjà impactés par la crise des matériaux (acier, aluminium, verre, PVC, plastiques, …), mais aussi d’autres jusque-là épargnés (ciment, briques et tuiles, carrelages, …) s’avère intensive en énergie et (fortement) émettrice de CO2.
De plus, certains matériels et matériaux connaissent un fort allongement des délais de livraison. C’est notamment le cas pour les armatures à béton (à la limite de la rupture d’approvisionnement), les chaudières, les pompes à chaleur ou les fermetures motorisées. L’enquête de l’Insee auprès des entreprises de bâtiment de plus de dix salariés révèle ainsi que plus de 17 % se trouvent contraintes dans leur niveau de production par cette difficulté en avril 2022 (voir graphique 5), plus haut niveau depuis l’origine de l’enquête en 1998, malgré le redéveloppement du stockage dans la filière.
Or, la plupart des marchés du bâtiment se signent à prix fermes et non révisables, d’une part ; prévoient la sanction des retards d’exécution par application de pénalités1, d’autre part. Pour les entreprises de bâtiment, ces contrats risquent donc de se solder par une double perte : celle liée à l’envolée « non répercutable » des matériaux et équipements mis en œuvre, plus celle causée par la livraison du chantier en retard. Et il s’agit d’un risque systémique dans certains métiers, puisqu’il affecte l’ensemble de leurs chantiers.
Le cumul de ces difficultés explique sans doute la nouvelle érosion des trésoreries constatée depuis le printemps 2021 dans les enquêtes de conjoncture de l’Insee, notamment pour les entreprises de plus de dix salariés (voir graphique 6).
Ces tensions sur la trésorerie des entreprises de bâtiment se trouve confirmée par une étude du Conseil d’analyse économique2 récemment actualisée. La construction y ressort comme le seul secteur où la part d’entreprises en situation de trésorerie « difficile » ou « très difficile » a renoué, depuis l’été 2021, avec son niveau de la fin 2019 (cf. graphique 7). L’effet des aides Covid-19 (PGE et Fonds de solidarité, au premier chef) s’est donc largement estompé.
Il en va d’ailleurs de même de l’encours net bancaire (somme des soldes des comptes bancaires moins les encours de dettes bancaires), qui donne une indication de la solvabilité des entreprises : « celle‐ci s’est améliorée en moyenne […] Les secteurs de la construction, de l’information et communication se distinguent avec une augmentation nettement plus forte de la part des entreprises en situation "très difficile" par rapport à la situation pré‐crise et peu voire quasiment pas d’augmentation du nombre d’entreprises en situation "bonne" ou "très bonne". » À noter aussi qu’à l’aune de cet encours net bancaire, fin février 2022, la construction affichait la plus forte proportion d’entreprises en situation « très faible » (13,7 % versus 7,4 % pour l’ensemble) et la plus faible en situation « très bonne » (6,2% versus 7,3 %).
Plus inquiétant, les Comptes de la Nation publiés par l’Insee révèlent, qu’après réaffectation de la rémunération du travail des chefs d’entreprises non salariés, les marges opérationnelles (EBE/VA) dans la construction restent en net retrait par rapport à la situation d’avant crise sanitaire, à 23,0 % au quatrième trimestre 2021 contre 27,0 % fin 2019 (cf. graphique 8). Le rebond du troisième trimestre 2020 semble s’être enrayé depuis, avec même un nouveau fléchissement au second semestre 2021.
La construction s’avère ainsi le grand secteur le plus durablement marqué par la crise sanitaire en terme de rentabilité, avec une perte de 4 points. L’industrie manufacturière3 n’affiche qu’une baisse de 2,7 points et les services marchands (hors immobilier et secteur financier) une petite érosion de 0,8 point, grâce aux puissants dispositifs de soutien publics.
Deux raisons principales expliquent l’écart entre construction et autres grandes branches :
- une érosion de 2,4 points de la part de la valeur ajoutée dans la production (de 39,7 % à 37,4 % entre les quatrième trimestres 2019 et 2021), pour moitié due à l’impossibilité de répercuter intégralement les hausses de prix des consommations intermédiaires ;
- mais surtout une très forte progression de la part des rémunérations dans la valeur ajoutée (de 60,5 % au quatrième trimestre 2019 à 65,5 % au même trimestre de 2021).
En résumé, parce qu’il ne parvient qu’en partie à répercuter auprès de ses clients les hausses de coût qu’il subit et qu’il s’avère la seule des grandes branches à avoir embauché (+62 200 postes salariés entre 2019 et 2021, +55 700 y compris intérim en équivalent-emplois à temps plein), le bâtiment se trouve pénalisé dans ses marges.
Le nouveau choc de prix sur les matériaux, conséquence directe du déclenchement de la guerre en Ukraine, affecte donc des entreprises de bâtiment déjà fragilisées. À telle enseigne que certaines envisagent à nouveau de dénoncer unilatéralement des marchés signés mais non commencés, la pénalité qui pourrait s’en suivre s’avérant un risque moindre que les pertes anticipées en réalisant le chantier au prix initialement convenu. Et pourtant, l’inflation n’a pas encore provoqué de hausses importantes des salaires !
Ces évolutions s’expliquent très largement par celles des prix des matériaux. Le tableau ci-après montre par exemple que, compte tenu de leur poids dans le BT01 (36,5 %), leur envolée sur les douze derniers mois (+13,1 %) contribue pour 4,8 % à la hausse globale de 6,1 % de l’index. Le poste « énergie » -consommation directe- progresse nettement plus vite (+23,9 %) ; toutefois, compte tenu de son poids beaucoup plus faible (1,0%), sa contribution à la progression des coûts de construction retracée par le BT01 s’affiche à 0,2 %.
Il en va de même du BT50, où la hausse globale de 4,1 % sur douze mois à fin janvier 2022 s’explique avant tout par celle des matériaux (11,6 %) qui contribuent à hauteur de 2,9 %. Là encore, le poste « énergie » progresse bien plus vite (23,9 %) mais pèse peu dans les consommations directes (0,8 %), donc contribue peu à la hausse globale (0,2 %).
- Les cahiers de clauses administratives générales (CCAG) prévoient 1/3 000ème du prix de l’ouvrage confié par jour de retard pour la commande publique, tout comme la NF P 03 001 pour la commande privée et le Contrat de construction de maison individuelle. Toutefois, les clausiers spécifiques à chaque marché retiennent souvent des taux bien plus élevés.
- Étienne Fize, Hélène Paris et Marion Rault, « Quelle situation financière des entreprises et des ménages deux ans après le début de la crise Covid ? », Conseil d’analyse économique (CAE), Focus N° 083‐2022, mars 2022.
Attention, cette étude se base sur l’exploitation des données de compte d’un seul réseau bancaire : le Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Elle n’illustre donc qu’une partie de la réalité, d’autant que les entreprises un peu structurées s’avèrent souvent multi-bancarisées et supportent des dettes fournisseurs. L’intérêt principal de l’analyse réside donc principalement dans les évolutions relevées, plutôt que les niveaux absolus.
- Au sein de ce secteur, seul celui des matériels de transport se distingue réellement, avec une chute de 15,2 points de marge (de 49,7 % à 35,5 % entre les T4 2019 et 2021). Les biens d'équipement ne perdent que 2,9 points et les « autres branches industrielles », 0,5.
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