La pierre sèche fait son entrée dans la modernité

La construction en pierre sèche dispose désormais de règles professionnelles. Un cadre technique qui devrait améliorer l'assurabilité des travaux et ouvrir de nouveaux horizons à ce procédé ancestral.
11:0008/12/2016
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Bâtimétiers Numéro 45 | Décembre 2016

Accrochées au paysage, les constructions en pierre sèche sont en train de s'ouvrir un nouvel avenir. Lequel passe tout d'abord par la reconnaissance de la légitimité de ce procédé, en particulier pour les murs de soutènement. « Dans certaines régions accidentées où les précipitations peuvent être abondantes et brutales, le mur de soutènement en pierres sèches, qui laisse s'écouler l'eau de pluie, est indispensable pour retenir les terres cultivables et lutter contre l'érosion, argumente Thomas Brasseur, bâtisseur en pierre sèche implanté à Saint-Andéol-de-Clerguemort (Lozère). Depuis une vingtaine d'années, les donneurs d'ordre redécouvrent ces vertus ancestrales. » La particularité de la pierre sèche est d'être un procédé sans liant, qui n'utilise aucun mortier à base de chaux, de ciment ou de terre : c'est grâce à un savant positionnement de chaque pierre, qui crée un maximum de liaisons entre elles, que le mur tient en place par son propre poids. Les pierres mises en œuvre sont extraites le plus localement possible, par exemple du schiste dans les Cévennes ou du calcaire sur les Causses. La construction commence par un terrassement à la base du mur, suivi de la réalisation de la fouille, plus ou moins profonde en fonction de la hauteur du mur, par creusement sur sol meuble ou en taillant la roche si elle est présente. L'élévation commence en positionnant en fond de fouille des pierres de grandes dimensions qui forment la base du mur, puis des pierres de taille inférieure, en terminant au sommet de l'ouvrage avec des grosses pierres de couronnement stabilisant par leur poids le haut du mur. Un fil tendu permet de contrôler le « fruit » du mur, à savoir sa nécessaire inclinaison vers le terrain à retenir, et servira de guide pour sa construction. Le mur est élevé en optimisant les surfaces de contact entre les pierres, et donc la stabilité du mur, en taillant au besoin les plans de joints, tout en décalant les pierres d'un rang à l'autre pour éviter l'effet « coup de sabre ». On peut obtenir au choix un parement rustique sans aucune taille de pierre (mur « paysan ») ou un parement plus sophistiqué avec taille (mur « cantonnier » ou « compagnon »).

Des règles professionnelles issues de travaux de recherche

Longtemps, les murs de soutènement en pierre sèche ont été dimensionnés de manière empirique - on établissait l'épaisseur de la base du mur à 1/3 de sa hauteur. Un pas important a été franchi avec l'acceptation de règles professionnelles, en juillet dernier, par la Commission Prévention Produits (C2P) de l'AQC (Agence Qualité Construction). « Ces règles professionnelles sont issues de travaux de recherche, encadrés par un comité de pilotage comprenant l'association ABPS 1, et menés dans des grandes écoles de BTP, ajoute Thomas Brasseur. Elles comprennent notamment 144 abaques de dimensionnement et intègrent désormais quatre types de pierres — schiste, calcaire, granit et calcaire tendre —, ce qui permet de couvrir la plupart des régions où on construit avec ce matériau. » En plus du dimensionnement, ces règles définissent l'organisation du chantier, la construction du mur de soutènement ou de clôture, l'appareillage (c'est-à-dire le positionnement des pierres selon leur type) et le parement voulu. Elles incluent aussi des recommandations pour l'entretien des murs. En complément, deux certificats de qualification professionnelle (CQP) d'ouvrier professionnel en pierre sèche (niveau 2) et de compagnon professionnel en pierre sèche (niveau 3) ont été homologués respectivement en 2010 et fin 2014. Selon la complexité de l'ouvrage, il est nécessaire que l'entreprise détienne un de ces CQP ou les deux pour respecter les recommandations professionnelles.

Des ouvrages plus compétitifs

Autre avancée : les nouveaux abaques permettent désormais une optimisation du dimensionnement du mur, pour des performances équivalentes, et de lever ainsi les réticences liées au coût du procédé : utiliser moins de matériau (approximativement 15 % du coût) et donc moins de main d'œuvre (85 % du coût du mur) rend les ouvrages en pierre sèche plus compétitifs. En effet, malgré l'utilisation de chargeurs ou mini-pelles — pour manutentionner notamment les pierres de plus de 50 kg — la construction reste majoritairement manuelle, à raison d'environ 1 m2 par jour et par ouvrier. Par ailleurs, l'homologation des règles professionnelles fait entrer les travaux de ce type dans le champ de la « technique courante », ce qui a pour conséquence de faciliter l'accès à l'assurance, et notamment l'assurance décennale obligatoire. L'entreprise a tout intérêt à s'appuyer sur l'existence de ces règles professionnelles pour négocier avec son assureur la souscription de garanties adaptées au meilleur prix. Dans un tel contexte, la construction en pierre sèche pourrait prendre un nouveau départ et se développer, en particulier dans le secteur des murs de soutènement routiers, où elle représente environ 20 % du réseau national. Ce procédé est également très présent dans certaines régions pour les murs de clôture, avec non plus un mais deux parements visibles à traiter de chaque côté du mur. Il existe aussi un patrimoine de ponts muletiers en pierre sèche, qui pourrait représenter un marché, avec pour enjeu de préserver le cachet des régions de montagne. Enfin, la pierre sèche présente un excellent bilan en matière d'énergie grise 2 puisqu'elle n'utilise pas de matériau industriel et ne « consomme » que l'énergie nécessaire à son acheminement sur le lieu de construction. À ce sujet, le maintien voire l'élargissement de l'exploitation des carrières locales contribuerait à réduire encore son impact sur l'environnement. Un dernier argument qui pourrait achever de faire pencher les donneurs d'ordre en sa faveur.

1

Association artisans bâtisseurs en pierres sèches.

2

Quantité d'énergie nécessaire lors du cycle de vie d'un matériau ou d'un produit : production, extraction, transformation, fabrication, transport, mise en œuvre, entretien, puis pour finir recyclage.

Pour en savoir plus
  • UMGO-FFB (Union de la maçonnerie et du gros œuvre), tél. : 01 40 69 51 59, www.umgo.ffbatiment.fr
  • ABPS (Artisans bâtisseurs en pierre sèche), tél. : 04 66 32 58 47, www.pierreseche.fr

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