Notre-Dame de Paris : les défis de la restauration

Sécurisation du site, futures étapes, ressources nécessaires... Le point avec Frédéric Létoffé, coprésident du GMH-FFB (1). Un projet de restauration qui se doit d'être « exemplaire et collectif », selon Charlotte Hubert, architecte en chef des monuments historiques.
11:0011/06/2019
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Bâtimétiers Numéro 55 | Juin 2019

En quoi consistent les travaux de mise en sécurité de Notre-Dame après l'incendie ?

Frédéric Létoffé :

Dès les premières heures qui ont suivi le drame, les entreprises se sont attelées aux mesures de protection du site. Fin avril, environ 80 compagnons, principalement en provenance d'entreprises membres du GMH-FFB, participaient à cette première phase de sécurisation.

Il y a eu tout de suite une forte mobilisation, sous l'égide des architectes en chef des monuments historiques, pour mener de front de multiples tâches :

  • conforter par un frettage le pignon du transept nord qui menaçait de s'effondrer ;
  • déposer et stocker en lieu sûr les statues et les éléments qui risquaient de basculer ;
  • poser au-dessus de la nef une membrane d'étanchéité puis un parapluie monté sur un échafaudage léger, tous les deux provisoires, pour mettre le site hors d'eau ;
  • installer au sommet de l'édifice, sur les murs de part et d'autre de la nef, des poutres en lamellé-collé de 18 m de portée, ce qui sera achevé courant juin…

 

Avec ces poutres, s'agit-il de consolider la structure ?

Ces poutres trémies contribuent effectivement à sécuriser Notre-Dame face au vent et à rééquilibrer les poussées qui s'exercent sur les murs. Dans le même objectif d'assurer le contreventement de la cathédrale et de retrouver du poids pour la stabiliser, les vitraux de la nef et du chœur (qui n'ont pas souffert, pour la plupart) ont été déposés pour faire passer, à travers les ouvertures, de grandes poutres, sur lesquelles seront posés des platelages qui permettront d'accéder par en dessous à la voûte endommagée. Sept entreprises de maîtres verriers ont été mobilisées pour retirer 1 000 m2 de vitraux. Tous ces travaux de sécurisation devraient durer environ quatre mois.

 

Que va-t-il se passer ensuite ?

Ce sera la phase de diagnostic, qui a déjà commencé. Des passages de drones ont été effectués, par exemple, pour trianguler Notre-Dame sur des points GPS afin d'identifier d'éventuels mouvements de la structure. Il faut souligner que la cathédrale avait été intégralement numérisée avant l'incendie par une entreprise spécialisée, membre du GMH-FFB (AGP - Art graphique et patrimoine). Cela permettra non seulement de comparer les relevés antérieurs et postérieurs à l'incendie, mais aussi, si c'est le choix qui est retenu, de reconstruire la charpente dans les dimensions exactes d'origine.

Cette phase de diagnostic, qui va durer aussi plusieurs mois, va permettre d'établir l'état sanitaire de l'édifice, concernant en particulier les maçonneries. On connaîtra alors l'étendue exacte des dégâts, et c'est à ce moment-là qu'on pourra déterminer précisément la nature des travaux à réaliser et les délais nécessaires.

 

Le délai de cinq ans fixé par le président de la République vous paraît-il atteignable ?

C'est beaucoup plus court que dans le cadre d'une restauration classique de monument historique, mais c'est réalisable à condition de s'en donner les moyens. Il va falloir simplifier en particulier les démarches administratives : l'État en prend le chemin avec le projet de loi présenté au Parlement, qui lui donnera la liberté de mener les actions nécessaires par ordonnance.

 

Dispose-t-on en France des matériaux nécessaires à la restauration ?

Il y a suffisamment de carrières en exploitation en Île-de-France pour pouvoir fournir le chantier, avec des pierres comparables en termes de dureté et de qualité à celles utilisées à l'origine. Concernant le bois, on a aussi en France la capacité à produire dans les délais le chêne nécessaire. On pourrait commencer les coupes de bois dès l'automne prochain, sachant que les sections de charpente pour ce type de restauration ne nécessitent pas de bois sec - au contraire, on utilise du bois vert.

 

Et en termes de savoir-faire et d'effectifs pour les entreprises de restauration ?

Le GMH-FFB, qui représente 90 % des entreprises du secteur, regroupe 10 000 personnes, dont 8 000 compagnons, qui exercent la dizaine de métiers concernés par une telle restauration : taille de pierre, charpente, couverture, maîtres verriers, sculpteurs, restauration de décors peints, marbriers (pour les sols), plâtriers traditionnels (pour les zones enduites), serrurerie d'art (notamment pour les garde-corps), échafaudeurs. Cela dit, pour relever un tel défi, il faudra mutualiser les moyens des entreprises du secteur. De même, toutes les filières de formation aux métiers du patrimoine (maisons des Compagnons du devoir, CFA, lycées techniques, etc.) vont unir leurs forces dans le cadre de l'opération « Chantiers de France » lancée par le gouvernement. Ces dernières années, notre filière a souffert du manque d'engouement des jeunes pour les métiers du patrimoine. Le chantier de Notre-Dame doit être l'occasion de les découvrir.

 

 

« Esprit de sauvegarde »

 

Charlotte Hubert, architecte en chef des monuments historiques, membre de l'équipe de maîtrise d'œuvre de la restauration de Notre-Dame

 

« Cinq ans pour que Notre-Dame retrouve sa charpente, son toit, une flèche, et que le public puisse y entrer à nouveau, c'est possible. À chantier exceptionnel, moyens exceptionnels ! Il ne faut pas oublier qu'une grande campagne de restauration avait été engagée au moment de l'incendie. Des études préalables ont été faites, on a déjà une bonne connaissance de l'édifice. Quand il s'agira d'élaborer le projet de restauration, sur la base du diagnostic en cours, de multiples questions techniques vont se poser, par exemple sur la consolidation des voûtes qui nous occupe beaucoup en ce moment. Un débat - très intéressant - va s'ouvrir aussi au sujet de la flèche. Mais comme pour tout édifice classé monument historique, notre objectif est la conservation maximale de toutes les parties anciennes qui pourront être sauvées et consolidées, dans un esprit de sauvegarde. L'accident terrible qu'a subi Notre-Dame a suscité une émotion planétaire. Un signal très fort d'attachement à ce bien commun nous a été envoyé : sa restauration se doit d'être exemplaire, et collective. Dans notre secteur, on se connaît bien, on est solidaires autour de nos monuments, suffisamment pour que le lendemain du drame, des maîtres verriers qui étaient concurrents la veille se regroupent pour déposer les vitraux. Les monuments historiques, nous y vivons tous les jours, il y a des savoir-faire magnifiques, et ce projet va sans doute susciter des vocations pour ces métiers formidables ! »

 

 

(1) Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, www.groupement-mh.org

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