Un chantier de staff spectaculaire

Une entreprise de plâtrerie a relevé un défi technique hors norme pour créer des éléments décoratifs exceptionnels dans le cadre prestigieux d’un domaine viticole bordelais. Explications.

14:4215/09/2025
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Bâtimétiers Numéro 80 | septembre 2025

Le Château Haut-Bailly, qui exploite le prestigieux vignoble de Pessac-Léognan, a entrepris un vaste chantier de réaménagement de son espace de réception des visiteurs pour développer son offre œnotouristique. Au cœur de ce projet ambitieux qui s’est étendu sur près de deux ans, de 2023 à 2025, l’entreprise Garabos (Gironde) a réalisé un travail qui repousse les limites du métier de staffeur.

 

Dans un premier temps, l’entreprise a pris en charge l’enveloppe du bâtiment, incluant l’isolation thermique, le cloisonnement, les plafonds, et les travaux de plâtrerie sèche des espaces réceptifs, qui constituaient la partie classique du chantier. Mais c’est dans la réalisation d’éléments décoratifs que cette entreprise familiale de plâtrerie et de staff a véritablement innové, avec six artisans mobilisés. Le projet comprenait deux réalisations majeures : des panneaux muraux cannelés courbes posés sur certains murs de l’espace réceptif et quatre imposants lustres circulaires en staff suspendus à 5 m de hauteur.

 

Ces éléments, initialement destinés à être fabriqués en Italie selon les plans de l’architecte Roméo, ont finalement été confiés à l’expertise locale de l’équipe de staffeurs. « Habituellement, les staffeurs sont sollicités pour réaliser des éléments classiques comme des corniches ou des rosaces, mais rien de cela n’a été demandé dans le cadre de ce chantier : nous sommes carrément sortis des sentiers battus », explique Boris Garabos, chef de l’entreprise qui porte son nom. Pour relever les nombreux défis techniques, l’entreprise a mis en place une méthodologie alliant outils numériques et techniques ancestrales. L’équipe a réalisé une modélisation 3D complète des éléments décoratifs grâce à des machines à commande numérique, ce qui a permis de visualiser avec précision les formes complexes à réaliser.

 

Pour les panneaux muraux cannelés, l’équipe a donc d’abord modélisé les murs et extrait le profil des cannelures. Ce profil a ensuite été découpé dans une feuille de zinc, créant ainsi un outil de fabrication sur mesure. « La modélisation 3D était une étape primordiale. Cela nous a permis de créer un outil de fabrication du staff sur mesure, d’après les plans de l’architecte », explique Boris Garabos, qui dirige également Bimotep, une société spécialisée dans les relevés lasergrammétriques et photogrammétriques. « Le véritable défi, c’était de créer le moule avec la forme souhaitée grâce à l’aide de Bimotep », précise Hervé Babaud, chef d’atelier de l’entreprise Garabos.

 

Les lustres : un défi technique exceptionnel

 

La réalisation des lustres représentait un défi encore plus complexe. Ces structures circulaires de 6 m de diamètre, aux formes organiques volontairement déformées, ont nécessité un processus de conception élaboré. « Nous avons commencé par modéliser les formes des lustres, ce qui n’a pas été une mince affaire car ils sont à la fois courbes et tordus, et pas parfaitement circulaires. L’idée était d’obtenir une forme assez organique », détaille Boris Garabos.

 

Ces modèles ont ensuite été « aplatis » numériquement pour créer des patrons précis. « Nous nous sommes servis de ces patrons pour faire découper des panneaux de médium par une machine à commande numérique. Les panneaux de médium nous ont ensuite servi à créer les “saumons”, c’est-à-dire les moules des lustres, que nous avons utilisés pour traîner notre staff », précise Boris Garabos. Pour finir, l’installation des lustres constituait sans doute l’étape la plus délicate du projet.

 

« L’autre défi majeur était d’accrocher les lustres à 5 m de haut. Ils sont naturellement souples en raison de leur grande taille et ils peuvent donc casser si la technique de levage n’est pas adaptée », explique l’entrepreneur. Après deux échecs, l’équipe a finalement réussi à la troisième tentative en développant un système ingénieux : un plancher métallique créé spécifiquement pour le montage a été suspendu par un treuil fixé à la charpente grâce à un système complexe d’élingues et de chaînes. « Quand on fait monter le treuil, ça soulève tout le plancher, ce qui permet de soulever le lustre sans qu’il se déforme », précise Boris Garabos. Des cro­chets ont ensuite permis de fixer définitivement les lustres à la charpente.

© DR

Une fusion réussie entre tradition et innovation

 

Le staff, mélange de plâtre et de fibres, constitue un matériau noble utilisé depuis des siècles dans l’architecture décorative. Traditionnellement renforcé de chanvre et souvent de fibre de verre, il permet de créer des ornements architecturaux d’une grande finesse. La technique ancestrale consiste à « gâcher » le plâtre en le mélangeant avec de l’eau pour obtenir une pâte malléable qui est ensuite appliquée sur un moule.

 

Le staff est ensuite appliqué selon la technique traditionnelle de « traînage », où le matériau est modelé avec des outils spécifiques. Une méthode qui n’a fondamentalement pas changé au fil des siècles. « On ne fabrique pas du staff différemment aujourd’hui qu’il y a deux cents ans. Ce sont des techniques qui perdurent », rappelle Boris Garabos. Pourtant, le chantier du Château Haut-Bailly montre comment les méthodes de construction ancestrales peuvent être enrichies par les nouvelles technologies. L’utilisation de la modélisation 3D et de la découpe numérique pour les gabarits en zinc et les moules a en effet permis d’obtenir une précision millimétrique impossible à atteindre manuellement. Des simulations numériques ont également permis de vérifier les équilibres et d’anticiper les contraintes mécaniques des pièces suspendues.

 

Pour Hervé Babaud, l’apport des outils numériques a donc été déterminant dans la réussite du projet. « Une infime erreur peut se répercuter sur l’ensemble du motif. La découpe numérique a donc permis d’éviter les erreurs qui auraient pu compromettre la régularité des motifs cannelés », explique ce spécialiste du staff. Au-delà de l’aspect technique, Boris Garabos souhaite que ce chantier hors norme puisse inspirer d’autres professionnels du secteur. « En réalisant ce type de travaux, j’espère que nous pourrons inciter d’autres architectes ou décorateurs à avoir davantage recours aux savoir-faire créatif et technique des artisans locaux, encore trop inexploités », conclut l’entrepreneur.

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