Réemploi de 180 t d'acier pour la construction d'un bâtiment industriel

À Toulouse, l’entreprise Castel & Fromaget a transformé l’ancien hall du parc des expositions en un bâtiment industriel de 4.000 m². Un chantier pionnier qui illustre les défis techniques et économiques du réemploi en charpente métallique.
9:1715/12/2025
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Bâtimétiers Numéro 81 | Décembre 2025

Dans la zone industrielle de Ginestous, située dans le nord de Toulouse (Haute-Garonne), un bâtiment industriel de 4 000 m² a été livré en juin 2025 à l’entreprise Cassin Recyclage. Il s’agit de l’une des plus ambitieuses opérations de réemploi de charpente métallique jamais menées en France. Cette halle de 54 m de portée et de 9 m de haut, structurée en quatre travées de 18 m, a en effet été construite à partir de 180 t d’acier de l’ancien parc des expositions de Toulouse, sauvées de la démolition.

 

Cette ossature réemployée, mise en œuvre par l’entreprise Castel & Fromaget, accueille désormais l’activité de tri et de conditionnement de matériaux de réemploi de l’entreprise Cassin, fermant ainsi la boucle d’une filière en plein essor. Tout commence en 2021 dans le cadre du vaste projet d’aménagement de l’île du Ramier à Toulouse, alors que plusieurs halls d’exposition doivent être démolis et recyclés par l’entreprise Cassin. « Nicolas Cassin a remarqué qu’il n’y avait pas de poteaux au centre du bâtiment », se souvient Philippe Terral, directeur de projet chez Castel & Fromaget. Cette configuration particulière fait naître une idée : plutôt que de démolir, pourquoi ne pas déconstruire soigneusement pour ensuite réemployer cette belle charpente ?


Les défis d’une filière naissante

 

Mais transformer une charpente métallique des années 1980 en bâtiment conforme aux normes actuelles représente un véritable défi technique. « On parle d’un ensemble de 180 t et d’une structure avec un schéma statique assez complexe », explique Philippe Terral. La particularité d’un projet de réemploi réside principalement dans l’étape de la requalification : contrairement à l’acier neuf, l’acier de réemploi doit prouver ses qualités. « La filière de la structure métallique s’est organisée pour établir des recommandations professionnelles afin de garantir que les propriétés des aciers de réemploi soient équivalentes à celles 2025 d’un acier neuf », souligne Olivier Destefani, responsable bureau d’étude et référent réemploi chez Castel & Fromaget.

 

Cette requalification a mobilisé l’équipe pendant deux mois intensifs, avec un travail minutieux sur chacune des 140 barres de réemploi : contrôles géométriques, contrôle des soudures, test de dureté, prélèvements de matière, essais de traction… Une fois la requalification terminée, trois compagnons se sont relayés à temps plein pendant deux mois pour adapter la structure existante au nouveau bâtiment. Contrairement aux méthodes traditionnelles, où les équipes assemblent des éléments préfabriqués en atelier à partir de plans détaillés, ce chantier a imposé de partir de barres existantes pour reconstruire la structure sur mesure.

 

« Nous n’avions pas de plan, toutes les cotes ont dû être reprises pour pouvoir intégrer les éléments dans un modèle et vérifier que l’assemblage fonctionnerait », indique Philippe Terral. Le dfi technique était considérable : au lieu de simplement boulonner des éléments parfaitement calibrés, les équipes ont dû découper et refaire des soudures sur chantier. « Nous avons dû percer des milliers de trous à la main pour adapter les éléments de couverture directement sur le chantier, ce qui est très peu courant dans notre métier. Impossible de passer ces aciers avec leurs platines d’extrémité sur nos machines en atelier », précise Olivier Destefani. À terme, d’autres techniques pourront simplifier le réemploi des aciers.

 

« L’une des solutions, c’est de prendre un bâtiment et de le reconstruire à l’identique en bâtiment miroir, ce qui n’implique pas forcément de retravailler les barres », explique Philippe Terral. Ce chantier toulousain démontre en tout cas que le réemploi en charpente métallique est techniquement réalisable, même sur des projets d’envergure.

Les enjeux du réemploi face au défi climatique

 

L’impact carbone constitue un argument de poids en faveur du réemploi : une barre réemployée affiche un bilan carbone de zéro, imbattable face à l’acier bas carbone qui conserve un impact environnemental. À l’échelle du projet toulousain, ce sont donc plus de 350 t de CO2 évitées. Un chantier hors norme, d’autant plus que la filière du réemploi structurel n’en est qu’à ses débuts. « C’est une spécialité émergente, dont la maîtrise reste à parfaire. La filière est en cours de restructuration », confirme Nicolas Soler, dirigeant de Castel & Fromaget et président du groupement régional Sud-Ouest du SCMF. Les matériaux de déconstruction représentent donc un gisement considérable encore largement sous-exploité.

 

Mais si le réemploi séduit sur le plan écologique, l’équation économique reste fragile. « Faute d’outils adaptés, le réemploi se fait toujours majoritairement de manière artisanale plutôt qu’industrielle. Aujourd’hui, la complexité consiste à avoir un coût de l’acier de réemploi proche de celui de l’acier bas carbone acheté neuf », reconnaît Nicolas Soler. Cependant, l’évolution réglementaire pourrait donner un coup d’accélérateur à la filière. « Si, demain, les marchés publics ou privés imposent un quota significatif de réemploi, alors cela pourrait complètement changer la donne », poursuit-il.

 

L’enjeu dépasse largement la seule question budgétaire. « Il faut repenser toute la chaîne de valeur de la construction, et intégrer à la conception les éléments liés à la déconstruction. Les architectes doivent intégrer dès l’esquisse la réversibilité des structures, et les entreprises doivent développer de nouvelles compétences pour maintenir le niveau de satisfaction de nos maîtres d’ouvrage. Cette approche nécessite une collaboration renforcée entre tous les acteurs, depuis les déconstructeurs jusqu’aux constructeurs, en passant par les bureaux d’études et les organismes de certification », ajoute Nicolas Soler.

 

Dans ce contexte, la filière du réemploi métallique dispose déjà de nombreux atouts. « C’est notamment la seule filière dotée de recommandations reconnues par les assurances et les bureaux de contrôle à ce jour, ce qui permet de garantir qu’un bâtiment en réemploi soit assurable comme un bâtiment neuf », indique Olivier Destefani. Une avancée réglementaire majeure, inédite en France, qui trace la voie pour le développement à grande échelle du secteur.


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